Bien que la transaction ne produise d’effets qu’entre les seules parties qui l’ont conclue, elle constitue, pour un tiers, un fait juridique. Dès lors, un codébiteur solidaire, même non-signataire, peut se prévaloir des engagements pris dans la transaction entre le créancier commun et un autre coobligé, dès lors que celle-ci confère à ce dernier un avantage dont il peut également profiter.
Civ. 3ème, 6 nov. 2025, FS-B, n° 24-10.745
I –
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation juge que, malgré le principe de l’effet relatif des contrats, une transaction conclue entre le bailleur et le locataire cessionnaire — par laquelle le bailleur renonce à une partie des arriérés de loyers — profite également à l’ancien locataire cédant, garant des loyers, bien qu’il n’ait pas été partie à cette transaction.
En l’espèce, un locataire avait cédé son fonds de commerce à une société cessionnaire, l’acte de cession prévoyant une garantie solidaire du cédant pour le paiement des loyers. Comme le rappellent les articles L. 145-16-1 et L. 145-16-2 du code de commerce, la garantie du cédant est strictement encadrée : le bailleur doit le prévenir des impayés dans le mois, et la garantie cesse trois ans après la cession.
Le cessionnaire ayant accumulé des arriérés, le bailleur assigna le cédant le 30 juin 2020 pour obtenir paiement. Mais, en cours d’instance, le bailleur conclut le 3 mai 2021 une transaction avec le cessionnaire, renonçant à une partie des loyers dus. Restait à savoir si le cédant pouvait invoquer cette transaction pour se libérer des sommes abandonnées.
La cour d’appel s’y était opposée, retenant l’effet relatif des contrats et soulignant que le protocole transactionnel indiquait expressément qu’il ne faisait pas obstacle aux poursuites contre des tiers, dont le cédant.
La Cour de cassation censure pourtant cette solution : elle affirme que le cédant, en sa qualité de garant, peut se prévaloir des avantages que le bailleur a consentis au cessionnaire. La transaction, bien que conclue sans lui, constitue pour le cédant un « fait juridique » dont il peut tirer profit, dès lors qu’elle réduit la dette dont il répond solidairement.
II –
L’ancien article 1165 du code civil affirmait que les conventions ne nuisent pas aux tiers et ne leur profitent pas davantage, consacrant une conception très stricte de l’effet relatif des contrats. Cette vision, largement critiquée dès 1934 par René Savatier dans une étude devenue classique, a été profondément renouvelée par la réforme de 2016.
Le nouvel article 1199 énonce désormais que le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties, et que les tiers ne peuvent ni en exiger l’exécution, ni en être tenus. En revanche, la règle selon laquelle le contrat ne profite jamais aux tiers a disparu. L’article 1200 ajoute même expressément que les tiers peuvent se prévaloir d’un contrat, notamment pour établir la preuve d’un fait.
C’est précisément ce que retient la Cour de cassation dans l’arrêt commenté : elle juge qu’une transaction conclue entre le bailleur et le locataire cessionnaire constitue, pour le cédant garant, un fait juridique dont il peut se prévaloir et dont il peut tirer avantage, en dépit de son statut de tiers au contrat.
Cette solution s’inscrit dans la logique selon laquelle, malgré l’effet relatif, les contrats demeurent opposables aux tiers, et les tiers peuvent eux-mêmes opposer le contrat aux parties.
D’un côté, s’agissant de l’opposabilité aux tiers, un tiers informé de l’existence d’un contrat ne peut agir comme s’il n’existait pas. Le contrat lui est opposable comme fait juridique, et il lui est interdit de se rendre complice de sa violation, sous peine d’engager sa responsabilité délictuelle (Com., 18 janv. 1994).
D’un autre côté, un tiers peut invoquer le contrat à l’encontre des parties. La jurisprudence admet de longue date que « les tiers peuvent se prévaloir, comme fait juridique, de la situation créée par un contrat » (Com., 22 oct. 1991). Tel est le cas notamment en matière de transactions : bien que l’article 2051 prévoie qu’une transaction ne lie pas les tiers, la Cour de cassation juge qu’un tiers débiteur peut invoquer la renonciation expresse du créancier à un droit (Civ. 1re, 25 févr. 2003 ; Civ. 1re, 18 oct. 2023).
Enfin, l’article 1315 du code civil, également mobilisé par la Cour, permet au débiteur solidaire d’opposer au créancier les exceptions communes à tous les codébiteurs, et même certaines exceptions personnelles lorsque la part du codébiteur est éteinte. Ainsi, lorsque la transaction réduit ou éteint la dette du cessionnaire, le cédant garant peut s’en prévaloir pour limiter ou éteindre sa propre obligation.

