Baux 9 ans : le déplafonnement sans amortisseur

Thomas Chinaglia

L’étalement des hausses de loyer n’est permis qu’en cas de déplafonnement fondé sur une modification notable de l’un des quatre premiers critères de la valeur locative, ou lorsque le bail a une durée contractuelle excédant neuf ans. En revanche, il ne s’applique pas aux baux initialement conclus pour neuf ans qui ont simplement été prolongés tacitement au-delà de douze ans.

Civ. 3ème, 16 oct. 2025, FS-B, n° 23-23.834

I –

La loi Pinel n° 2014-626 du 18 juin 2014, applicable aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, a introduit à l’article L. 145-34 du code de commerce un dernier alinéa limitant à 10 % par an l’augmentation du loyer déplafonné. Cette limitation vise les hypothèses où le déplafonnement résulte d’une modification notable de l’un des quatre premiers éléments de la valeur locative, ou lorsque le bail déroge au plafonnement en raison d’une durée contractuelle excédant neuf ans.

La Cour de cassation a déjà précisé que l’étalement prévu par ce texte consiste en une majoration annuelle fixe et non modulable de 10 % du loyer de l’année précédente. Elle ajoute que la détermination de l’échéancier relève des parties et non du juge des loyers commerciaux. Dès lors, si un désaccord naît sur l’application de l’étalement après une décision fixant le loyer de renouvellement à la valeur locative déplafonnée, il appartient au tribunal judiciaire d’être saisi.

Dans l’affaire examinée, le loyer du bail renouvelé au 1er octobre 2014 avait été déplafonné en raison de la durée du bail, lequel avait dépassé douze ans par l’effet de la tacite prolongation. Le locataire, n’ayant réglé qu’une partie des rappels de loyer dus, revendiquait l’application de l’étalement, soutenant que toute hausse liée à la durée du bail devait être soumise à la limite annuelle de 10 %.

La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle distingue en effet deux situations : celle où le bail a été conclu pour une durée contractuelle supérieure à neuf ans, dans laquelle l’étalement trouve à s’appliquer, et celle où un bail initialement conclu pour neuf ans s’est simplement prolongé tacitement au-delà de douze ans, ce qui exclut l’étalement. Dans ce dernier cas, le mécanisme instauré par la loi Pinel ne joue pas, même si la prolongation aboutit à une durée supérieure à douze ans.

Ainsi, la Cour confirme que l’étalement de la hausse de loyer est réservé aux baux dont la durée contractuelle excède neuf ans, mais demeure inapplicable aux baux de neuf ans prolongés tacitement, même lorsque leur durée totale dépasse douze ans.

II –

Le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce, qui instaure le mécanisme de lissage limitant à 10 % par an l’augmentation du loyer déplafonné, prévoit qu’il s’applique lorsque le déplafonnement résulte d’une clause du contrat relative à la durée du bail. Cette disposition renvoie au premier alinéa du même article, selon lequel le plafonnement ne concerne que les baux dont la durée n’excède pas neuf ans, durée entendue comme la durée contractuellement fixée du bail expiré. Il en résulte que, pour appliquer l’étalement, seule importe la durée prévue au contrat, dès lors que le texte vise explicitement une clause contractuelle. C’est pourquoi le déplafonnement est admis lorsque le bail expiré avait une durée contractuelle supérieure à neuf ans.

En revanche, l’étalement n’a pas vocation à jouer lorsque le déplafonnement résulte non d’une clause contractuelle, mais de la tacite prolongation du bail. Le bail commercial ne se renouvelle pas automatiquement : à défaut de congé ou de demande de renouvellement, il se poursuit après son terme initial par tacite prolongation. L’article L. 145-34 précise expressément que, lorsque la durée du bail excède douze ans par l’effet de cette prolongation, le plafonnement est exclu. Ce cas de déplafonnement, fondé sur la seule durée effective du bail, est donc distinct de celui lié à une durée contractuelle supérieure à neuf ans, et il ne déclenche pas l’étalement prévu par la loi Pinel. La règle ne s’applique pas davantage lorsque le locataire soutient que la tacite prolongation équivaudrait à un accord contractuel : la Cour de cassation distingue strictement l’accord exprès, matérialisé par une clause ou un avenant, de la simple poursuite tacite du bail.

La frontière entre clause contractuelle et prolongation tacite peut pourtant sembler artificielle. Certaines décisions ont admis qu’une prorogation convenue pour un an excluait le déplafonnement, tandis qu’une acceptation de la date proposée dans un congé, au-delà de douze ans, pouvait entraîner la perte du plafonnement. La différence de traitement entre un bail contractuel de douze ans et un bail initial de neuf ans prolongé pendant plus de douze ans tient donc davantage à la forme qu’à la réalité économique, alors même que le résultat est similaire pour les parties.

Cette distinction apparaît d’autant plus discutable que le lissage de l’augmentation, limité à 10 % par an, constitue une protection essentielle pour le locataire. Une hausse brutale de loyer, souvent accompagnée de rappels importants, peut fragiliser sérieusement une entreprise. Pourtant, deux locataires placés dans des situations quasi identiques — l’un lié par un bail contractuel de douze ans, l’autre ayant simplement laissé son bail se prolonger au-delà de douze ans — ne bénéficient pas des mêmes conditions de calcul du loyer.

Il serait ainsi souhaitable que le législateur intervienne pour harmoniser le régime et mettre fin à une différence de traitement difficilement justifiable, en particulier au regard de l’objectif de stabilité économique poursuivi par la loi Pinel.

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