Dans un arrêt du 24 septembre 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation reconnaît explicitement comme acte de déloyauté le détournement d’informations confidentielles, précédemment sanctionné contre d’anciens salariés, cette fois à l’encontre d’un ancien dirigeant. Plus encore, il apparaît que la Cour attache peu d’importance au caractère stratégique de ces informations pour caractériser la déloyauté, dès lors qu’elles restent confidentielles.
Com. 24 sept. 2025, n° 24-13.078
I –
L’arrêt du 24 septembre 2025 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation clarifie la qualification de la déloyauté lorsqu’il s’agit du détournement d’informations confidentielles. L’affaire concerne un ancien mandataire social d’une association de passionnés de véhicules Volkswagen qui, avec un associé, avait créé une société concurrente organisant des événements automobiles sur le même site qu’un festival précédemment organisé par l’association. L’association avait assigné la société et ses dirigeants pour concurrence déloyale et parasitisme, estimant que la transmission par l’ancien vice-président de sa balance comptable, document confidentiel, à la nouvelle société constituait un acte de déloyauté.
La Cour d’appel de Rennes avait rejeté la demande, considérant que le document était succinct et ne contenait pas d’informations stratégiques, et que sa communication ne caractérisait pas un acte de concurrence déloyale. La Cour de cassation a partiellement cassé cette décision, estimant que le seul fait de détenir des informations confidentielles obtenues par un ancien salarié ou mandataire social constitue un acte de concurrence déloyale, indépendamment du caractère stratégique ou non des informations.
Cette décision confirme deux points majeurs : premièrement, le détournement d’informations confidentielles par un ancien salarié ou mandataire social constitue un acte de déloyauté ; deuxièmement, le critère décisif n’est pas la valeur stratégique des informations, mais leur caractère confidentiel. L’arrêt illustre ainsi l’importance accordée par la Cour au respect de la confidentialité et à la protection des informations sensibles, indépendamment de leur impact direct sur la concurrence.
II –
La chambre commerciale de la Cour de cassation confirme depuis plusieurs années une jurisprudence constante selon laquelle la simple détention d’informations confidentielles peut constituer un acte de concurrence déloyale, même sans usage ni appropriation active, s’appuyant sur la clause générale de l’article 1240 du code civil (ancien 1382). Cette approche a été progressivement affirmée, depuis l’arrêt du 8 février 2017, qui sanctionnait l’appropriation déloyale d’informations confidentielles par un salarié, jusqu’aux arrêts récents de 2022 et 2023, élargissant la portée aux cas où le salarié n’était soumis à aucune clause de secret ou de non-concurrence, et distinguant les notions de « détention » et d’« appropriation ».
Le présent arrêt du 24 septembre 2025 marque une étape supplémentaire en appliquant cette logique à un ancien mandataire social – ici le vice-président d’une association – et non à un salarié, étendant ainsi le champ de la déloyauté au-delà des liens contractuels classiques. La Cour précise que le caractère confidentiel de l’information suffit pour caractériser un acte de concurrence déloyale, indépendamment de son intérêt stratégique ou de son usage effectif.
Cette évolution jurisprudentielle rapproche cette notion de la réglementation sur le secret des affaires et illustre la volonté de la Cour de protéger l’intégrité des informations sensibles contre toute appropriation ou simple détention par des acteurs issus d’organisations concurrentes. L’arrêt est ainsi à la fois révélateur de la souplesse de la notion de déloyauté et critiquable pour son élargissement considérable, qui pourrait sanctionner des comportements n’impliquant aucune exploitation directe de l’information.
III –
L’arrêt du 24 septembre 2025 confirme et étend la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la déloyauté découlant du détournement d’informations confidentielles. La Cour énonce quatre conditions pour qu’un tel acte soit qualifié de déloyal : la participation de l’ancien salarié ou mandataire social à la création de la société concurrente, la simple détention des informations, la confidentialité de celles-ci, et leur obtention pendant l’exécution du contrat de travail ou du mandat.
Dans l’espèce, ces conditions étaient largement remplies : l’ancien vice-président de l’association avait participé à la création de la société concurrente et avait transmis le document financier alors qu’il était encore en fonction. La Cour se montre cependant très lacunaire sur la question de la confidentialité, se contentant de la mentionner brièvement sans justifier pourquoi la balance des comptes devait être considérée comme confidentielle. De plus, elle passe sous silence le constat des juges du fond selon lequel le document était succinct et ne contenait aucune information stratégique, sous-entendant ainsi que la confidentialité seule suffit pour caractériser l’acte de déloyauté, indépendamment de l’intérêt économique des informations.
Cette position dépasse le régime du secret des affaires, qui protège uniquement les informations confidentielles ayant une valeur économique, et élargit le champ de la concurrence déloyale à toute information simplement confidentielle, même dépourvue d’utilité stratégique. Une telle solution, bien que facilitant la preuve pour les victimes, peut apparaître excessive et créer une contrainte importante pour les mandataires sociaux, limitant leur liberté d’entreprendre et pouvant favoriser une forme de « verrouillage » du marché au bénéfice des acteurs historiques.
En définitive, cet arrêt illustre la tendance de la Cour à sanctionner la détention d’informations confidentielles de manière très stricte, confirmant la sévérité de la jurisprudence en matière de concurrence déloyale, tout en soulevant des interrogations sur l’équilibre entre protection des informations et liberté d’activité.

