Responsabilité civile décennale et immixtion fautive du maître d’ouvrage

Kathia BEULQUE
Kathia BEULQUE - Avocat associée

Source : Cass.3ème Civ., 23 septembre 2020, n°19-13.890

 

C’est ce que rappelle la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans cette décision, inédite, comme suit :

 

« ….

 

Faits et procédure

 

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 janvier 2019), la société civile immobilière […] (la SCI), assurée selon une police constructeur non-réalisateur auprès de la société MMA IARD, a fait construire à flanc de colline un ensemble de vingt-quatre villas.

 

2. Sont notamment intervenus à l’acte de construire M. Q…, en qualité de maître d’oeuvre, assuré auprès de la Mutuelle des architectes français, la société Socotec, en qualité de contrôleur technique, assurée auprès de la société Axa France, la société SVR, titulaire du lot gros oeuvre, assurée auprès de la société Areas dommages CMA, qui a sous-traité son lot à M. P…, assuré auprès de la société MAAF assurances, la société K… frères, titulaire du lot VRD, assurée auprès de la société Generali France assurances, et M. L…, titulaire du lot terrassement, assuré auprès de la société MMA IARD.

 

3. Se plaignant de glissements de terrains et de coulées de boue, survenus après deux épisodes pluvieux et affectant les parties communes à usage de jardin à proximité des villas […] et […] , ainsi que les fondations de celles-ci, le syndicat des copropriétaires […] (le syndicat des copropriétaires), M. et Mme O… et M. et Mme U…, propriétaires des villas en cause, ont assigné en réparation, après expertise, les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs sur le fondement de l’article 1792 du code civil.

 

Examen du moyen

 

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche

 

Enoncé du moyen

 

4. Le syndicat des copropriétaires, M. et Mme O… et M. et Mme U… font grief à l’arrêt de dire que l’acceptation délibérée des risques par le maître de l’ouvrage constitue une cause étrangère exonératoire de responsabilité des constructeurs et de rejeter leurs demandes à leur encontre, à l’encontre de leurs assureurs et de l’assureur constructeur non-réalisateur, alors « que tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître de l’ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ; que la cour d’appel a constaté que les dommages avaient pour cause la mauvaise conception des écoulements d’eaux, le non-respect des règles de l’art concernant l’évacuation des eaux de toitures et au niveau du recueil et de l’évacuation des eaux de ruissellement, ce dont il résultait qu’ils avaient pour cause déterminante une exécution défectueuse du marché de construction ; qu’en énonçant cependant, pour retenir l‘exonération totale des entrepreneurs de leur responsabilité, que le maître d’ouvrage avait accepté délibérément le risque d’effondrement, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si le comportement du maître d’ouvrage avait été la cause directe des désordres, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au des articles 1646-1, 1792 et 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code. »

 

Réponse de la Cour

 

Vu l’article 1792 du code civil :

 

5. Selon ce texte, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination, une telle responsabilité n’ayant point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

 

6. Pour rejeter les demandes du syndicat des copropriétaires et des acquéreurs, l’arrêt retient que la SCI, maître d’ouvrage professionnel, alertée à plusieurs reprises par le bureau de contrôle technique sur les risques encourus en l’absence de réalisation de travaux de soutènement des talus et de recours à l’avis d’un géotechnicien, a poursuivi le chantier sans se conformer à ces préconisations, prenant ainsi consciemment le risque de glissements de terrain dont l’acceptation délibérée exonérait totalement les constructeurs de leur responsabilité.

 

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en l’état de l’inadaptation de la profondeur d’ancrage des fondations des deux villas et des non-conformités affectant le système de captage et d’évacuation des eaux pluviales et de ruissellement que l’expert judiciaire avait constatées, le comportement du maître de l’ouvrage était la cause directe des désordres de nature décennale qu’elle a retenus, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il confirme le jugement ayant dit que l’acceptation délibérée de risques du maître de l’ouvrage, la SCI […], constitue la cause étrangère exonératoire au sens de l’article 1792 du code civil et ayant rejeté les demandes dirigées à l’encontre de la société MMA IARD, prise en sa qualité d’assureur constructeur non-réalisateur, de M. Q… et des sociétés Mutuelle des architectes français, SVR et Areas dommages, l’arrêt rendu le 31 janvier 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

 

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;… »

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