FRANCHISE :ASSOCIATION DE FRANCHISES ET LIBERTE D’ASSOCIATION

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

La Cour d’Appel de LYON dans le prolongement de la doctrine de la Cour de cassation reconnait aux franchisés le droit de se fédérer en association de franchisés en vertu de la liberté d’association et ne reconnaît pas cette organisation comme une tentative de déstabilisation du réseau du franchisé (Société CASINO)

Source : CA LYON 25 mai 2022 n° 19/02101

I –

Un franchisé, malheureux de la Société CASINO, estime que sa mésaventure doit être partagée et crée, pour ce faire, une association de franchisés et anciens franchisés du groupe de distribution bien connu.

Son objectif déclaré avait pour un but « d’échange, d’amélioration et de solutions pérennes pour la franchise » avec une réflexion sur huit pistes de travail qu’il avait pris le soin d’élaborer.

En réaction, la direction DISTRIBUTION CASINO France avait saisi le Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE pour « des actes de dénigrement et de tentatives de déstabilisation de son réseau CASINO SUPERMARCHE constitués par des termes employés dans les mails / courriers ».

En première instance, le Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE ordonnait à l’encontre des franchisés une mesure de cessation des actes de dénigrement et tentatives de déstabilisation, le condamnant à payer à son ancien franchiseur une somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi par celle-ci « dont l’image vis-à-vis de l’ensemble de ses franchisés à l’enseigne CASINO SUPERMARCHE a été atteinte du fait des agissements de ces derniers ».

A tort, répond la Cour d’Appel de LYON saisie d’un appel, au motif essentiel que « l’examen des divers courriels adressés par Monsieur X à plusieurs franchisés CASINO (…) conduit à observer que celui-ci, portant son ressenti personnel quant à la situation des supermarchés sous franchise CASINO, à savoir « les conditions économiques de la plupartr de nos entreprises se sont nettement détériorées » a proposé « dans un but d’échange, d’amélioration et de solutions pérennes pour la franchise » une réflexion sur 8 pistes de travail qui avait élaborées ».

Et la Cour d’observer que « ces pistes sont dénuées de critiques ou propos dénigrants à l’encontre de Casino, M. X se limitant à poser objectivement des problématiques et les questions s’y rapportant ».

Après avoir examiné, dans le détail, les communications critiquées par CASINO, la Cour finit par conclure «En réalité, la constitution d’une association , même par un ancien franchisé, destinée à superviser les difficultés rencontrées au sein de la franchise afin d’y apporter des solutions et réponses n’est pas en tant que telle de nature à caractériser une atteinte à l’image de la Société Distribution Casino France, dont le nom n’est pas cité, ni une tentative de déstabilisation, les appelants (ancien franchisés) rappelant, à bon droit, que la création ou la participation à une association participe d’une liberté fondamentale, et quand bien même l’initiative de M. X de rallier les franchisés dans une association s’inscrit dans un contexte conflictuel personnel avec la Société Distribution Casino France ».

II –

La référence à la liberté d’association, légalement posé par l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901, a valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil Constitutionnel Français du 16 juillet 1971 qui lui donne le statut de principe fondamental reconnu par les lois de la République[1], valeur conventionnelle posée à l’article 11 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme[2].

La liberté de réunion et d’association font partie de nos droits fondamentaux, de sorte que sa restriction nécessite la démonstration d’un but légitime suffisamment important pour qu’il puisse constituer une exception légitime à ces libertés fondamentales.

Et sur ce point, ce serait un  tort que cantonner cette liberté aux opinions politiques et religieuses. Cette liberté s’inscrit dans un large spectre de relations, en ce compris celles entrant dans le champ du droit de la distribution.

Ainsi, les lecteurs de Chronos se souviendront d’une Jurisprudence désormais constante selon laquelle la clause d’un bail commercial faisant obligation au preneur d’adhérer à une association de commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail, est entachée d’une nullité absolue en vertu du principe que nul n’est tenu d’adhérer à une association ou y ayant adhéré, d’en demeurer membre[3].

On sent bien la volonté pour les bailleurs d’obliger les commerçants à se fédérer pour animer leur galerie marchande et pour les franchiseurs à entraver la fédération des franchisés qui naturellement conduira à un partage des connaissances, du savoir et une homogénéisation de stratégie d’un bloc de franchisés face à leur franchiseur.

Ainsi constituée, une association entre franchisés n’est pas en soi blâmable, même si on se doute que celle-ci n’a pas vocation à faire l’apologie du franchiseur … Bien au contraire.

Reste que pour avoir un sens, cette liberté de réunion et d’association prévue à l’article 11 doit s’ajouter  la liberté d’expression qui, quant à elle,  est reconnue comme un droit humain fondamental posé par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui, comme chacun sait, a valeur constitutionnelle[4] et l’article 11 du même texte « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », et par l’article 9 et 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Ce rappel des libertés fondamentales, examinées à l’aune de l’Arrêt de la Cour d’Appel de LYON commenté, s’emboite parfaitement : le principe et les libertés y associées  et l’exceptions, l’abus de cette liberté.

Et l’on voit bien que toute communication d’un franchisé dans le cadre de sa liberté d’expression d’une part et son droit de fédérer, de se réunir et de s’associer d’autre part, doit être, par principe, protégé et par exception blâmé. Le blâme étant effectivement le dénigrement. Mais dans la liberté d’expression s’inscrit également celle de pouvoir critiquer, la critique qu’elle soit constructive ou non d’ailleurs, se distingue du dénigrement qui se définit comme une pratique qui consiste à jeter le discrédit sur un concurrent (ou pas)[5] en répandant à son propos et au sujet de ses produits et/ou services, des informations malveillantes dans le but de lui nuire.

Pour apprécier la faute constitutive du dénigrement, le Juge mettra toujours en balance la liberté d’expression, ainsi que le droit à la critique et le droit à l’information avec le principe de responsabilité civile délictuelle et, comme frontière, la démonstration ou pas de l’intention de nuire.

Si cette intention est démontrée, elle implique que la liberté d’expression et le droit à l’information ont été dépassés. Ainsi, par exemple, la volonté de « porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle (…) de l’entreprise visée, concurrente ou non »[6].

Un point toutefois à surveiller pour les candidats à l’association et à la liberté de parole :  l’exception de vérité très chère à la liberté de la presse ne s’applique pas à la matière. Ainsi les Juges ont pu considérer que « la divulgation de l’information et de nature à jeter me discrédit sur un concurrent, constituait un dénigrement, peu importe qu’elle soit exacte »[7].

Et pour revenir à la situation examinée par la Cour d’Appel de LYON, un examen objectif et factuel des difficultés rencontrées par notre franchisé et des moyens d’y remédier, constituait au mieux une simple critique, mais en tout cas, certainement pas, un dénigrement dans une organisation associative dont l’exigibilité était d’autant moins contestable que les propos tenus.

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971

[2] Sur la liberté de réunion et d’association

[3] Sur le droit national, voir Cass. Civ. 3ème 12 juin 2003 n° 02-10.778 ou sur la plan conventionnel CDH 29 avril 1999, CHASSAGNAU c/ France n° 25088/94

[4] « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »

[5] La Jurisprudence a posé le principe selon lequel il n’était pas nécessaire qu’il y ait un lien de concurrence pour que la qualification de dénigrement soit retenue : Cass. Com. 20 novembre 2007 n° 05-15.643

[6] CA VERSAILLES 09 septembre 1999 n° 1998-2345

[7] Cass. Com. 07 mai 2019 n° 17-16.774

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