Société : arrivée du terme

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

SOURCE : TGI GRASSE, 18 février 2019, n° 17-04.872

 

I – QUAND LA MAJORITE QUALIFIEE OU L’UNANIMITE DEVIENT UNE STRATEGIE DE CHANTAGE DES MINORITAIRES

 

I – 1.

 

On le sait, il ne fait pas bon en France, d’être associé minoritaire. Certes, ils disposent de droits que leur confère soit le Code de Commerce lorsque les sociétés à caractère commercial, soit le Code Civil, mais dans la pratique, le minoritaire qui revendique ses droits, s’engage dans un long chemin de Damas, au cours duquel il doit surmonter des obstacles qui seront notamment la difficile compréhension par la juridiction du fond, des droits des minoritaires.

 

C’est plus particulièrement vrai en matière de Société Civile, dans un contexte où nos Magistrats ont une connaissance limitée, voire pas de connaissance du tout, de la comptabilité, qu’ils, d’une manière générale, pratiquent peu au point d’involontairement privilégier les droits du majoritaire dès lors que la situation de la société n’apparaît pas compromise.

 

Pour autant, une majorité peut administrer correctement une société, mais le faire au détriment des intérêts des minoritaires, et à son seul avantage.

 

I – 2.

 

Les rapports de force sont inversés lorsque le vote du minoritaire est sollicité sur des opérations soumises à la règle du quorum, de la majorité qualifiée, voire de l’unanimité.

 

Dans ce cas, le vote peut être une source de marchandage, source d’un abus de majorité.

 

II – UN EXEMPLE TOPIQUE D’ABUS DE MINORITE

 

L’abus de majorité est caractérisé en droit prétorien par un vote contraire à l’intérêt social, dans le but de favoriser l’intérêt des associés (minoritaires ou majoritaires) au détriment des autres associés (minoritaires ou majoritaires).

 

A la connaissance de la rédaction de Chronos, c’était la première fois qu’une juridiction du fond avait à se prononcer sur l’existence ou pas d’un abus de minorité consécutif au refus d’un minoritaire de voter favorablement à la prorogation d’une société, ce qui avait pour effet d’entrainer indirectement sa dissolution par l’arrivée du terme (art 1844-7-1 du Code Civil).

 

Le Tribunal de Grande Instance de GRASSE avait ainsi été saisi par des majoritaires, en conflit de longue date avec un minoritaire qui avait refusé de voter favorablement la prorogation du terme, et ainsi provoqué sa dissolution.

 

Abus de droit, répond la décision, qui juge que le refus de proroger la société est contraire à l’intérêt social, et dicté par l’intérêt des associés minoritaires au détriment des autres associés, dans un contexte où :

 

–   La société exerçait une activité conforme à son objet, sans grave dysfonctionnement ;

 

–   La désignation d’un administrateur provisoire était due en partie au conflit judiciaire opposant les associés minoritaires à la SCI ;

 

–   Le vote des minoritaires était dicté par le seul intérêt qui était d’obtenir la dissolution de la SCI, sauf à obtenir un rééquilibrage financier à leur profit, des recettes tirées de l’exploitation du bien immobilier appartenant à la société.

 

L’abus de majorité étant constaté, la juridiction désigne un mandataire ad hoc, en lui conférant le droit de voter en lieu et place de l’associé minoritaire à la prochaine assemblée générale qui devait statuer sur la prorogation du terme.

 

Si a priori, la motivation semble dépourvue de critique, l’affaire reste à suivre, notamment au niveau de la récente évolution de la Cour de Cassation sur le traitement dans les Sociétés Civiles de la mésentente entre associés.

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