Régime juridique d’un prêt consenti par l’employeur au salarié

Patricia VIANE CAUVAIN
Patricia VIANE CAUVAIN - Avocat

SOURCE : Cass 1ère civ 5 juin 2019, n° 16-12.519, F-S-P-B-I

 

I – LE PRET CONSENTI PAR UN EMPLOYEUR A SON SALARIE : UNE PRATIQUE ADMISE, MAIS SOURCE DE DIFFICULTES

 

I – 1.

 

Dans une évolution de la société, où l’entreprise se doit désormais d’assumer les responsabilités environnementale et sociale, il n’est pas rare de constater que l’employeur fait à l’égard de certains de ses salariés, office de banquier.

 

Non pas que celui-ci ait tout à coup l’envie de faire commerce du prêt et des intérêts ; il s’agit en général de la volonté de l’employeur d’apaiser une tension du salarié qui, en situation de stress financier, ne parvient pas à recourir par les réseaux traditionnels, à l’emprunt.

 

Mais la cause de l’engagement du banquier n’est pas celle de l’employeur. Pour le premier, il s’agit d’abord et avant tout de tirer profit du prêt d’argent, alors que pour le second, l’engagement tient d’abord à la qualité de salarié du prêteur. L’intérêt (lorsqu’il est stipulé) n’est ici qu’accessoire à l’engagement principal. Pour l’employeur, le maintien du prêt est donc consubstantiel à la permanence du contrat de travail. A défaut, il a très largement recours à la clause de résiliation de remboursement anticipé du prêt causé par la fin du contrat de travail.

 

Cette logique, qui s’impose lors de la naissance du contrat, ne trouve malheureusement pas de contrepartie juridique.

 

I – 2.

 

En effet, en cas de litige, c’est-à-dire en cas de contestation par l’ancien salarié de la validité de la clause de remboursement anticipé, il appartient aux juridictions saisies de qualifier le contrat… ce qui est une véritable source de difficultés.

 

Ainsi, dans l’affaire commentée, les juridictions du fond, puis la Cour de Cassation avaient-elles à se prononcer pour la première fois sur l’application de l’article L 132-1 (devenu
L 212-1 du Code de la Consommation) qui sanctionne les déséquilibres abusifs dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs.

 

Bien entendu, et pour pouvoir appliquer ce texte, encore fallait-il pouvoir qualifier l’employeur de professionnel ; or, l’employeur ne fait pas commerce du prêt, même s’il faut admettre que quelques grandes entreprises proposent à leurs salariés, la souscription d’un crédit immobilier (ici il s’agissait de la société EDF).

 

Le droit de la consommation étant pour l’essentiel régi par le droit communautaire, la Cour de Cassation était tenue de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle[1] ainsi rédigée :

 

« Lorsqu’un employeur consent à un salarié ainsi qu’à son épouse, co-emprunteur solidaire mais non salarié de la société, un contrat de prêt immobilier destiné à l’acquisition de la résidence principale, le premier peut-il être qualifié de professionnel, et le second de consommateur au sens de l’article 2 de la Directive 93-13 CEE du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives ? ».

 

Par son arrêt du 19 mars 2019[2], la Haute Juridiction européenne a jugé que l’employeur doit être considéré comme un professionnel « même si consentir des crédits ne constitue pas son activité principale », et le salarié et son épouse, de consommateurs, de sorte qu’il avait une application de plein droit du Code de la Consommation.

 

La « boîte de Pandore » était ainsi ouverte : elle s’appelait « Code de la Consommation ». Il appartenait donc à la Cour de Cassation d’en tirer les conséquences.

 

II – LA CLAUSE DE REMBOURSEMENT ANTICIPE LIEE A LA PERTE D’EMPLOI DU SALARIE EST ABUSIVE

 

La question qu’avait à trancher la Cour de Cassation était de savoir si le remboursement anticipé du fait de la perte d’emploi (ici c’était une démission) constituait-il un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au regard des dispositions du Code de Consommation précitées (L 212-1).

 

La réponse est oui. Réponse sans surprise de la Cour de Cassation : il s’agit d’une clause abusive. Mais ce faisant, la Haute Juridiction fait application de sa propre jurisprudence appliquée au droit de la consommation, qui déclare abusive toute clause qui prévoit la déchéance du prix pour une cause extérieure au contrat[3].

 

Ainsi, est directement rattachable au contrat, une déchéance du terme consécutive à une perte de garantie, à une cession du bien acquis à l’aide du financement consenti, éventuellement à sa destruction totale, au non-paiement des remboursements, etc.

 

En revanche, la perte de l’emploi de l’emprunteur ne se rattache pas directement à l’exécution du contrat, de sorte qu’elle était abusive.

 

La clause étant réputée non écrite, il faut comprendre de la lecture de cet arrêt, que l’ancien salarié peut désormais poursuivre le remboursement du prêt selon la périodicité contractuellement convenue sauf pour le coup à souffrir d’une déchéance du terme, si d’aventure, il s’était abstenu de la respecter.

 

[1] Cass 1ère civ. 04/10/2017, n° 16-12.519

 

[2] CJUE 19/03/2019, aff. C-590-17

 

[3] Cass 1ère civ, 01/02/2005, n° 01-16.733 publiée au bull ou cass 1ère civ 27/11/2008, n° 07-15.226

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