Loi MACRON et notification des congés et demandes de renouvellement : le décret d’application est paru

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Décret n°2016-296 du 11 mars 2016 relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, articles 14 et 15

 

Vivaldi-chronos vous dévoilait dans un précédent article les effets de la Loi MACRON du 6 aout 2015 sur le droit des baux commerciaux[1], et notamment l’opportunité réservée aux parties de se communiquer par LRAR la plupart des décisions qu’elles prennent, et non plus par voie d’huissier.

 

L’enjeu de certains actes, pouvant entrainer une poursuite du bail pour trois ans ou le déplafonnement du loyer du bail renouvelé, avait ému certains commentateurs sur les risques liés à l’utilisation de la LRAR. Compte-tenu des risques évoqués, Vivaldi-chronos conseillait aux preneurs d’opter pour l’acte extrajudiciaire, quels que soient les surcoûts qu’il entraine, puisque sous l’empire de l’article R145-1-1 du Code de commerce, qui devait être aménagé dans le cadre de la réforme, la date du congé était celle de la première présentation de la lettre, qui dépendait des diligences de l’établissement postal.

 

Le législateur s’est emparé de la difficulté à la faveur du décret d’application de l’article 207 de la loi MACRON, en supprimant (article 14 du décret) l’article R145-1-1 et en transférant, en les modifiant, ses dispositions sous un nouvel article R145-38 (article 15 du décret)

 

I – Le décret

 

Le nouvel article R145-38 du Code de commerce, en vigueur depuis le 14 mars 2016, est ainsi rédigé :

 

« Lorsqu’en application des articles L. 145-4 [ndlr : congé triennal], L. 145-10 [ndlr : demande de renouvellement], L. 145-12 [ndlr : repentir], L. 145-18 [ndlr : réponse à offre de local de remplacement], L. 145-19 [ndlr :droit de priorité], L. 145-47, L. 145-49 [ndlr : déspécialisations] et L. 145-55 [ndlr : renonciation à déspécialisation], une partie a recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la date de notification à l’égard de celui qui y procède est celle de l’expédition de la lettre et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de première présentation de la lettre. »

 

La date de notification est donc celle de l’expédition de la lettre pour l’auteur, et de réception pour le destinataire. Les délais de procédure courront à compter de ces dates.

 

II – Quel effet à la LRAR « avisée non réclamée » ?

 

La date de notification n’était pas la seule difficulté inhérente à la LRAR : qu’adviendra –t-il du bail ou du loyer de renouvellement en cas de non réception de la LRAR par le destinataire de la missive, lorsque le bail aura duré plus de douze ans, ou que le préavis de 6 mois sera écoulé à réception par le preneur, du pli « avisé – non réclamé » ?

 

Le décret ajoute en effet que :

 

« Lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire. »

 

En d’autres termes, l’envoi de la LRAR ne serait efficace qu’en cas de réception.

 

II – 1. L’efficacité de la LRAR avisée non réclamée en jurisprudence

 

Il pourrait être répondu à cette difficulté par la lecture a pari des arrêts des 6 novembre 1986[2], 17 octobre 2012[3] et 16 octobre 2013[4] rendus par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, concernant la notification des mémoires préalables à la saisine du juge des loyers.

 

La Cour de cassation considère en effet de longue date que le refus de la LRAR par le destinataire ou l’absence de retrait du pli en bureau de poste équivaut à une réception (6 novembre 1986), qui fait courir le délai mensuel de saisine du juge des loyers (16 octobre 2013), et interrompt le délai de prescription biennal quand bien même la LRAR serait-elle retournée à l’expéditeur avec la mention « non réclamée » (17 octobre 2012)

 

La 3ème chambre civile ajoutait toutefois, dans son arrêt de 2012, qu’en cas de non réception de la LRAR, l’envoi doit être réitéré, au besoin via la signification. C’est cette obligation prétorienne qui pourrait être ici reprise par le nouvel article R145-38.

 

Il résulte de ce qui précède que la demande de déspécialisation, de renouvellement, le congé, etc…, à condition que l’adresse du destinataire soit exacte, prendrait date à compter de son envoi par LRAR, quelle que soit sa bonne (ou mauvaise) réception. Mais en cas de difficultés de réception, les parties sont enjointes de procéder par voie huissier.

 

A défaut, le preneur ne pourra pas exploiter de nouvelles activités (déspécialisation), ni invoquer le plafonnement du loyer du bail renouvelé. Le bailleur ne pourra pas non plus obtenir l’expulsion du preneur sans réception du repentir.

 

Plus délicate est la question de l’effet du congé notifié par le preneur et non reçu par le bailleur.

 

II – 2. La particularité du congé

 

Au-delà de la préservation des droits du preneur, le congé, de par son délai de préavis de 6 mois minimum, d’ordre public, permet au bailleur d’anticiper la libération des locaux, et de trouver un successeur au preneur dans le commerce.

 

Une lecture stricte du texte et de la jurisprudence conduirait au bailleur non avisé de découvrir, juste avant la libération des locaux par l’effet d’une signification tardive, le départ du preneur.

 

C’est là que le bât blesse : le décret ne prévoit aucun délai de réitération, de sorte qu’à suivre la jurisprudence relative à la délivrance du mémoire par LRAR, le preneur pourrait agir tel qu’il exercerait son droit d’option : informer le bailleur de sont départ imminent.

 

III – Conclusion

 

Il s’agira pour les tribunaux de se positionner sur la question de l’efficacité de la LRAR « avisée non réclamée », et du délai raisonnable qui devrait être éventuellement respecté par l’auteur de la correspondance, pour réitérer l’acte par huissier.

 

En attente de ce positionnement ferme, nos conseils à l’attention des preneurs à bail commercial seront maintenus : évitez tout congé ou demande de renouvellement de dernière minute et optez dans ce cas pour la signification, qui a en toute hypothèse l’avantage, l’huissier étant tenu de délivrer l’acte à personne, d’éviter toute difficulté procédurale ultérieure relative à l’adresse du destinataire.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cf notre article «Loi Macron, baux commerciaux et formalisme de transmission d’actes : la Loi Pinel déjà réformée », et sur l’article L145-1-1 : Loi Pinel : le décret d’application est paru…

[2] 3ème civ, 6 novembre 1986, n°84-10103

[3] Cf notre article du 13 novembre 2012 Quelques précisions relatives à la délivrance du mémoire préalable à la saisine du Juge des loyers

[4] Cf notre article du 5 novembre 2013 : Notification d’un mémoire préalable à la saisine du juge des loyers.

 

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