Loi MACRON : Ce qui change sur l’Information des salariés des entreprises commerciales de moins de 250 salariés en cas de cession de leur entreprise

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

  

SOURCES :

 

La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ci-après « LESS »);

 

Décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014

 

Cons Constit : décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015

 

ART 204 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (Ci-après « loi MACRON »)

 

I – PETIT RAPPEL DU TEXTE ET DE SES DIFFICULTÉS

 

            I-1 Une mauvaise solution pour répondre à une difficulté réelle

 

Partant du constat que « la non-transmission d’entreprises saines est une source croissante de pertes d’emplois »[1] et estimant que « la reprise par les salariés peut être une solution pour préserver la viabilité de l’entreprise et assurer la pérennité de l’activité et de l’emploi »[2], le Gouvernement a souhaité, lors du dépôt le 24 juillet 2013 du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, la création d’« un nouveau droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine » Ce nouveau droit a été institué par l’article 20 de la LESS selon des modalités d’application définies par l’article 98 de la même loi , mais sa mise en œuvre a rapidement fait l’objet d’une évaluation en vue de sa réformation.

 

Très rapidement, ce dispositif a fait l’objet de nombreuses réactions critiques, de telle sorte que, par une lettre de mission du 12 janvier 2015, le Premier ministre a chargé Mme Fanny Dombre-Coste, député, de dresser un constat sur les conditions de mise en œuvre du droit d’information des salariés et de formuler des recommandations pour faciliter et accompagner les reprises d’entreprises.

 

Dans son rapport remis le 18 mars 2015, Mme Dombre-Coste recommandait d’apporter quatre ajustements au dispositif, visant à :

 

« – remplacer la sanction de la nullité de la vente de l’entreprise par une amende proportionnelle au prix de vente (…), afin de sécuriser les procédures de cession ;

 

– assouplir les modalités d’information pour répondre aux situations où il est difficile d’informer les salariés ;

 

– recentrer le champ d’application sur les ventes, c’est-à-dire lorsque les salariés ont la possibilité de faire une offre de reprise, alors qu’actuellement toutes les cessions sont visées ;

 

– permettre une information régulière des salariés visant à les placer dans la situation de repreneurs, avec la communication d’informations économiques sur la cession à venir de leur entreprise (…). Il s’agit de susciter des vocations chez les salariés tout en renforçant le dialogue social, en particulier dans les très petites entreprises (TPE) ».

 

II-2 Quand le conseil constitutionnel s’en mêle

 

A l’origine de la saisine un cessionnaire dont l’opération d’acquisition avait été annulée pour défaut d’information des salariés conformément à la LESS.

 

La société contestait, d’une part, la constitutionnalité de l’obligation d’informer tous les salariés instaurée par les dispositions contestées et, d’autre part, la constitutionnalité de la sanction prévue en cas de manquement à cette obligation, soit la nullité de cette cession. Elle soutenait que ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre et, en ce qui concerne la sanction de nullité de la cession, qu’elles méconnaissaient les principes de proportionnalité des peines et de personnalité des peines. Enfin, en n’écartant pas l’application de la loi pour tous les accords de cession conclus avant sa publication, le législateur aurait porté atteinte au droit au maintien des contrats et conventions légalement conclus.

 

Dans sa décision du 17 juillet 2015 le Conseil constitutionnel a d’abord jugé qu’en imposant au cédant d’une participation majoritaire dans une société de moins de deux cent cinquante salariés d’informer chaque salarié de sa volonté de céder pour permettre aux salariés de présenter une offre d’achat, le législateur a entendu encourager, de façon générale et par tout moyen, la reprise des entreprises et leur poursuite d’activité. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général[3] Le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré sur ce point de l’atteinte à la liberté d’entreprendre en estimant que, compte tenu de l’encadrement établi par le législateur, l’obligation d’informer mise à la charge du cédant n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé que le législateur avait prévu que peut être annulée une cession intervenue en méconnaissance de l’obligation d’information, que cette action en nullité peut être exercée par un seul salarié, même s’il a été informé du projet de cession, et qu’à défaut de publication de la cession cette action en nullité ne commence à courir qu’à compter de la date à laquelle tous les salariés ont été informés de cette cession. Le Conseil constitutionnel a également relevé que la loi ne détermine pas les critères en vertu desquels le juge peut prononcer cette annulation et que l’obligation d’information a uniquement pour objet de garantir aux salariés le droit de présenter une offre de reprise sans que celle-ci s’impose au cédant. La décision en déduit qu’au regard de l’objet de l’obligation dont la méconnaissance est sanctionnée et des conséquences d’une nullité de la cession pour le cédant et le cessionnaire, l’action en nullité prévue par les dispositions contestées porte une atteinte manifestement disproportionnée[4] à la liberté d’entreprendre.

 

En synthèse la Haute Cour valide l’obligation d’information des salariés mais juge que la sanction de la nullité est disproportionnée par rapport au but poursuivi. Il faut comprendre que la déclaration d’inconstitutionnalité de la sanction a ôté toute efficacité au dispositif de sorte que la loi MACRON devait combler se vide en tenant compte du retour sur expérience de l’application de la loi.

 

II L’INFORAMATION DES SALARIES APRES LA LOI MACRON

 

II-1 L’information des salariés en cas de vente de l’entreprise avant la loi MACRON.

 

La LESS a introduit une obligation d’information à la charge des entreprises de moins de 250 salariés en cas de cession de l’entreprise (fonds de commerce) ou d’une participation majoritaire de la société[5].Le détail des entreprises assujetties à cette obligation est repris dans le tableau ci-après.

 

 

 

NB les opérations barrées ont été supprimées par la loi MACRON

 

II-2 L’information après la loi

 

II-21 Le champ d’application du dispositif est restreint

 

La LESS visait toutes les cessions ,ce qui comprenait les donations, échanges, apports, etc.. A compter de l’entrée en vigueur des modifications apportées par la loi croissance et activité, seules les ventes seront soumises à information des salariés .[1]Cette exclusion était nécessaire mais elle reste insuffisante .Les ventes intra-groupe tombent encore dans le dispositif d’information .Il serait sur ce point souhaitable que le décret d’application à paraître corrige cette difficulté.

 

Par ailleurs, un nouveau cas d’exonération de l’obligation d’information est prévu. Jusqu’à présent, seules les ventes à un conjoint, ascendant ou descendant ou celles d’entreprises faisant l’objet d’une procédure de conciliation, sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaires étaient dispensées de l’obligation d’information des salariés. A l’avenir, aucune information supplémentaire ne sera nécessaire lorsque les salariés auront déjà été informés de la vente dans les 12 mois la précédant dans le cadre de l’information triennale[2].

 

II-22 Les modalités d’information des salariés et du chef d’entreprise sont sécurisées

 

Au plan formel, l’information peut être effectuée par tout moyen de nature à rendre certaine la date de sa réception par les salariés. Cela peut être compliqué si le salarié est en vacances ou s’il a oublié de donner sa nouvelle adresse par exemple. C’est pourquoi il est précisé que lorsque l’information est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, la date de réception de l’information est la date de la première présentation de la lettre et non celle apposée par la poste lors de la remise de la lettre à son destinataire.[3]

 

Actuellement, les salariés désirant présenter une offre d’achat doivent le faire directement auprès du propriétaire du fonds de commerce, que celui-ci en soit l’exploitant ou non, ou auprès du propriétaire des droits sociaux. A compter de l’entrée en vigueur des modifications apportées par la loi, lorsque ces propriétaires ne seront pas exploitants du fonds ou chefs d’entreprise, les salariés présenteront leur offre à l’exploitant du fonds ou au chef d’entreprise, à charge pour ces derniers de la transmettre sans délai au propriétaire.[4]

 

II-3 La sanction du défaut d’information n’est plus la nullité de la cession

 

La sanction du manquement à l’obligation d’information, invalidée par le Conseil Constitutionnel est désormais une amende civile d’un montant maximal de 2 % du montant de la vente.[5]

 

La sécurité juridique sera ainsi préservée, la vente ne pouvant pas être remise en cause. Les salariés ne seront incités à engager une action que dans l’hypothèse où ils auraient souhaité présenter une offre, mais en auraient été empêchés du fait de l’absence d’information préalable, limitant ainsi le risque contentieux.

 

Un nouveau décret précisant les modalités d’application de ce nouveau dispositif est attendu .Entre temps la violation de la loi LESS n’est pas …sanctionnable

 

Eric DELFLY

VIVALDI-Avocats

 


[1] C. com. art. L 141-23 s. et L 23-10-1 s. modifiés

[2] C. com. art. L 141-27, L 141-32, L 23-10-6 et L 23-10-12 modifiés

[3] C. com. art. L 141-25, L 141-30, L 23-10-3 et L 23-10-9 modifiés

[4] C. com. art. L 141-23, L 141-28, L 23-10-1 et L 23-10-7 modifiés.

[5] C. com. art. L 141-23, L 141-28, L 23-10-1 et L 23-10-7 modifiés.

[6] 1 Exposé des motifs du titre II du projet de loi n° 805 déposé le 24 juillet 2013 sur le Bureau du Sénat.

[7] 2 Ibidem ; selon l’étude d’impact de ce projet de loi, Titre II « Disposition facilitant la transmission d’entreprises à leurs salariés » « si 17 000 petites et moyennes entreprises (PME) employant de 5 à 100 salariés font l’objet d’une transmission, 8 000 PME disparaissent en raison du décès du chef d’entreprise. (…)L’INSEE a mis en évidence une diminution continue des reprises d’entreprises sur une période de 12 ans. Sur 200 000 PME et ETI, les opérations de cessions ont concerné en 2010 environ 1,4 million d’emplois pour 12 000 sociétés reprises.

[8] L’examen de la jurisprudence du Conseil montre que les deux composantes traditionnelles de la liberté d’entreprendre sont protégées : d’une part, la liberté d’accéder à une profession ou une activité économique (Décision n° 2011-139 QPC du 24 juin 2011, Association pour le droit à l’initiative économique (Conditions d’exercice de certaines activités artisanales)).et d’autre part, la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité. Le Conseil a rappelé expressément ce double objet dans sa décision n°2012-285 QPC du 30novembre 2012 sur les corporations d’Alsace-Moselle (Décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, M. Christian S. (Obligation d’affiliation à une corporation d’artisans en Alsace-Moselle)). Au titre de la seconde composante, le Conseil a reconnu la liberté d’embaucher en choisissant ses collaborateurs ( Décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, ) ,la liberté de licencier (n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la liberté de faire de la publicité commerciale) ou de fixer ses tarifs1Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales.

Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur les atteintes à la liberté d’entreprendre ou les limitations de cette liberté a subi une lente évolution qui va dans le sens de son renforcement.C’est dans sa décision du 16 janvier 2001 sur la loi relative à l’archéologie préventive que le Conseil constitutionnel a adopté le considérant de principe dont il fait toujours usage depuis : « il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».Par conséquent, toute limitation de cette liberté doit être justifiée par une exigence constitutionnelle ou par un motif d’intérêt général. Le contrôle opéré par le Conseil se limite à un contrôle de la disproportion manifeste qui conduit rarement à la censure. Toutefois, lorsque l’atteinte est justifiée par un motif d’intérêt général, le contrôle du Conseil constitutionnel tend à se renforcer.

[9] Le Conseil constitutionnel a consacré le droit au maintien des conventions légalement conclues dans sa décision n° 98-401 DC du 10 juin 199816 et lui a reconnu valeur constitutionnelle en le rattachant, dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, à l’article 4 de la Déclaration de 1789.Le Conseil a pu d’abord considérer que le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789. Il a ensuite précisé la portée du principe. Il ressort désormais d’une jurisprudence abondante que si le législateur peut, à des fins d’intérêt général, déroger au droit au maintien des conventions qui découle des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 d’une part, il ne peut y porter une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant et, d’autre part, il ne peut le faire qu’à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

[10] Cf. commentaire VIVALDI-Chronos en dates des 27 aout, 2 septembre17 septembre 2014 et 27 novembre 2014.

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