Le 7 mai 2025, la Cour de cassation s’est prononcée sur une demande de désignation d’un administrateur provisoire au sein d’une société à l’initiative d’un de ses créanciers : le créancier n’a pas qualité pour agir et sa demande est donc irrecevable.
Source : Cass. com., 7 mai 2025, n°23-20.471, publié au bulletin
I –
The Family était un ancien incubateur d’entreprises et fonds d’investissement et l’un des principaux acteurs de l’écosystème start-up en France. Ses anciens associés sont désormais en conflit désormais, avec d’un côté Alice Zagury et Nicolas Colin qui accusent notamment le troisième, le très médiatique Oussama Ammar, d’avoir détourné plusieurs millions d’euros.
Dans le cadre de ce litige, il est reproché au dernier associé cité d’avoir détourné, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, des sommes d’argent de deux sociétés faisant partie du groupe The Family au profit de l’une de ses sociétés afin d’acquérir un terrain et d’y faire construire un manoir.
Les deux sociétés du groupe The Family, créancières de la société créée dans le but de la création du manoir et arguant de cette qualité, ont sollicité la désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci.
La cour d’appel ne fait pas droit à leur demande et les deux sociétés se pourvoient en cassation. Les deux sociétés ne sont pas plus heureuses devant la Haute Cour qui, par l’arrêt à l’étude, crée une nouvelle condition pour être en mesure de demander la désignation d’un administrateur provisoire : la qualité à agir.
II –
Il convient tout d’abord de rappeler que l’administration provisoire est une mesure exceptionnelle, ce que la Cour de cassation rappelle régulièrement[1], puisqu’elle a pour objet le retrait provisoire des attributions des organes sociaux de la société.
Conséquence de ce caractère exceptionnel, l’administration provisoire doit réunir deux conditions cumulatives pour permettre la désignation d’un administrateur provisoire, les circonstances doivent :
- Rendre impossible le fonctionnement normal de la société ;
- Menacer la société d’un péril imminent.
Cette double condition cumulative est reprise dans la formule régulièrement reprise par la Cour de cassation : « la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent »[2].
Concernant le demandeur, celui-ci doit avoir un intérêt à agir, condition que la jurisprudence examine scrupuleusement. On se rappelle notamment l’arrêt récent de la Cour de cassation[3] qui a rejeté la demande d’administration provisoire d’un dirigeant révoqué qui ne justifiait pas d’intérêt à agir, la Cour de cassation considérant qu’il agissait pour la défense de ses intérêts personnels plutôt que la défense de ceux de la société.
En l’espèce, les sociétés se prévalaient de leur qualité de créancier pour porter cette demande d’administration provisoire. La jurisprudence a eu l’occasion de se confronter à des cas d’espèce où des créanciers demandaient la désignation d’un administrateur provisoire et de répondre avec plus ou moins de clarté au fait de savoir si la qualité de créancier permettait une telle demande. Un arrêt du 16 février 1988[4], malgré son ambiguïté, estimait que l’action d’un créancier ne pouvait pas par principe être exclue. L’année suivante, la cour commerciale[5] revenait sur sa position en jugeant que le créancier ne pouvait « se faire juge des intérêts de la société et de ses associés et d’agir en leur nom pour les préserver », l’administration provisoire n’a pas pour vocation la protection des intérêts des créanciers.
En lieu et place d’une demande de désignation d’un administrateur provisoire, le créancier soucieux de défendre ses intérêts pourrait plus légitimement et facilement demander et obtenir la nomination d’un mandataire ad hoc, ce qui ne prive pas les organes sociaux de leurs prérogatives.
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation relève que les sociétés demanderesses arguaient de leur qualité de créancier au soutien de leur demande, elle rejette donc le pourvoir mais cette fois en y incluant une nouvelle condition : la qualité à agir.
III –
Selon la Cour de cassation dans l’arrêt commenté :
« Le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci. »
A lire la Cour de cassation, la demande en désignation d’un administrateur provisoire est donc conditionnée à la qualité du demandeur, c’est-à-dire à sa qualité juridique à l’égard de la société.
De plus, en faisant de sa qualité de créancier la raison justifiant l’absence de qualité à agir, alors même qu’en vertu de cette qualité un lien de droit existe entre la société et le créancier, l’arrêt laisse planer des incertitudes quant à ce qu’il faille considérer comme permettant de remplir la qualité à agir, l’action serait-elle ouverte aux seuls associés de la société ? Qu’en est-il par exemple des salariés ou des anciens dirigeants ?
En l’absence de précisions relatives à la qualité à agir suffisante pour être considérée comme recevable lors d’une demande de désignation d’administrateur provisoire, il semble que le recours à cette mesure apparaisse sérieusement entravé comme le relève notamment le Professeur de droit privé Nadège Jullian[6].
[1] Cass. com., 25 janvier 2005, n°00-22.457
[2] Cass. com., 6 février 2007, n°05-19.008
[3] Cass.com., 22 janvier 2025, n°22-20.526
[4] Cass. com., 16 février 1988, Bull. Joly 1988, p. 270, note P.L.C.
[5] Cass. com., 14 févr. 1989, n° 87-13.719
[6] Editions Législatives, Le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci, 13 mai 2025