Une politique d’entreprise conduisant à la dégradation des conditions de travail est susceptible de caractériser un harcèlement moral d’origine institutionnel

Manon BARTIER

Dans un très récent arrêt rendu par la chambre criminelle, la Cour de Cassation est venue consacrer l’existence, en l’espèce au sein de la société France TELECOM, d’un harcèlement moral institutionnel, entraînant la sanction directe des dirigeants de l’entreprise

Source : Cour de Cassation, chambre criminelle, 21 janvier 2025, n°22-87.145

Dans cette affaire médiatisée depuis 2009, un syndicat avait porté plainte pour harcèlement moral contre l’entreprise France TELECOM, qui avait mis en œuvre un plan social reposant sur une réduction drastique des effectifs (environ 22.000 sur les 120.000 présents au sein de la structure).

Le tribunal correctionnel et la Cour d’appel de PARIS avaient à l’époque jugé de concert que le harcèlement moral était constitué en l’espèce, ce qui n’avait pas empêché la multinationale de se pourvoir en cassation.

Saisie de ce litige, la Cour de Cassation en a profité pour rappeler la définition, trop peu connue, du harcèlement moral institutionnel ; il s’agit donc « d’agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, d’agissements porteurs, par leur répétition, et de façon latente ou concrète, d’une dégradation, là encore potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité, et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction ».

C’est donc sur la base de cette définition que la Cour a jugé de l’existence d’un tel harcèlement au sein de la structure.

En effet, si les prévenus faisaient valoir qu’il n’existait pas, en l’espèce, d’actes positifs et réitérés, pouvant constituer un harcèlement moral au sens de la loi pénale et travailliste, la haute juridiction a retenue une vision plus sévère des dispositions légales en ce que l’entreprise s’était, selon elle, engagée dans une stratégie délibérée de harcèlement, de par l’application même des nouvelles politiques.

Au-delà donc de la caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, la Cour a également retenu l’intention de nuire en ce que la structure avait selon elle parfaitement connaissance de l’effet néfaste de l’application d’une telle politique sur les agents du groupe.

Les deux éléments étant donc réunis, le harcèlement moral a donc été légitimement retenu par la Cour de Cassation, considérant que les dirigeants avaient nécessairement dépassé les simples limites de leur pouvoir de direction.

Extrêmement sévère dans son analyse, la Cour a également retenu la complicité d’autres membres de la direction du groupe, notamment des figures RH, retenant leur responsabilité concernant l’ensemble des salariés concernés, et ce indépendamment de la période de présence des prévenus au sein de l’entreprise.

Cette décision, relevant à la fois du droit du travail et du droit pénal, est un parfait exemple de l’évolution de la législation en faveur de la protection du salarié non seulement à titre individuel, mais également au collectif, avec un point de départ qui se trouve au sein même des politiques managériales choisies.

Nul doute que cette décision fera écho auprès des grands groupes et sera inspirante dans la réflexion des entreprises souhaitant modifier leurs politiques salariales.

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