Dans un arrêt du 7 novembre 2022, l’assemblée plénière de la Cour de cassation affirme que le refus de communiquer le code secret permettant de déverrouiller un mobile constitue un délit.
En mai 2018, une personne interpellée et placée en garde à vue pour trafic de stupéfiants avait refusé de communiquer aux enquêteurs les mots de passe permettant de déverrouiller deux téléphones portables découverts dans son véhicule.
Il avait été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Lille pour détention et vente de cannabis, ainsi que pour refus de fournir le code de déverrouillage d’un téléphone susceptible d’avoir été utilisé dans le cadre de ce trafic.
Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal correctionnel de Lille l’avait :
- condamné à une peine d’emprisonnement et amende pour infractions à la législation sur les stupéfiants ;
- relaxé du délit de refus de remettre ou de mettre en œuvre la convention secrète d’un moyen de cryptologie.
Sur cette dernière question seulement, le procureur de la République avait fait appel. Par arrêt du 11 juillet 2019, la cour d’appel de Douai avait confirmé le jugement déféré.
Sur pourvoi du procureur général, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait été saisie de la question.
Dans une arrêt du 13 octobre 2020 (pourvoi n°19-85.984), la Cour de cassation cassait l’arrêt aux motifs que :
« Pour confirmer la relaxe, la cour d’appel énonce qu’un téléphone portable ne peut être considéré comme un moyen de cryptologie au sens des textes précités, et que le code permettant de déverrouiller l’écran d’accueil d’un téléphone, qu’il s’agisse d’un code chiffré ou d’un ensemble de points à relier dans un sens prédéfini par l’utilisateur, ne peut être qualifié, au sens des mêmes dispositions, de convention secrète de déchiffrement. L’arrêt retient qu’un tel code de déverrouillage de l’écran ne sert pas à décrypter les données contenues dans le téléphone, mais seulement à débloquer l’usage de l’écran, pour accéder aux données contenues dans le téléphone
En prononçant ainsi, par un motif général et erroné, alors que le code de déverrouillage d’un téléphone portable constitue une convention de déchiffrement s’il permet de mettre au clair les données qu’il contient, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. »
Par arrêt du 20 avril 2021, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Douai, autrement composée, poursuivait sa résistance, jugeant que :
« Toutefois, la mise en œuvre d’un moyen de cryptologie suppose la transformation, à l’occasion de la communication entre plusieurs personnes, de données claires pour les rendre incompréhensibles, ou de données codées pour les rendre claires. Dès lors, la clé de déverrouillage de l’écran d’accueil d’un smartphone n’est pas une convention secrète de chiffrement, car elle n’intervient pas à l’occasion de l’émission d’un message et ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données, au sens de l’article de la loi du 21 juin 2004, mais tend seulement à permettre d’accéder aux données et aux applications d’un téléphone, lesquelles peuvent être ou non cryptées.»
Sur un nouveau pourvoi du procureur général, l’affaire était transmise devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 7 novembre 2022 publié au bulletin, expose que :
- Un « moyen de cryptologie » a pour but de rendre des informations incompréhensibles, afin de sécuriser leur stockage ou leur transmission : cela vise « tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu’il s’agisse d’informations ou de signaux, à l’aide de conventions secrètes ou pour réaliser l’opération inverse avec ou sans convention secrète. Les moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d’assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité ;
- Une « convention secrète de déchiffrement » permet la mise au clair des informations cryptées : cela vise « tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d’une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l’occasion de son stockage ou de sa transmission. Il en résulte que le code de déverrouillage d’un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie ;
- Lorsqu’un téléphone portable est équipé d’un « moyen de cryptologie », le code de déverrouillage de son écran d’accueil peut constituer une « clé de déchiffrement » si l’activation de ce code a pour effet de mettre au clair les données cryptées que l’appareil contient ou auxquelles il donne accès ;
- Dès lors, « Il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est équipé d’un tel moyen et si son code de déverrouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu’il contient ou auxquelles il donne accès ;
- Si un téléphone portable doté de ces caractéristiques techniques est susceptible d’avoir été utilisé pour la préparation ou la commission d’un crime ou d’un délit, son détenteur, qui aura été informé des conséquences pénales d’un refus, est tenu de donner aux enquêteurs le code de déverrouillage de l’écran d’accueil. S’il refuse de communiquer ce code, il commet l’infraction de « refus de remettre une convention secrète de déchiffrement.
Ainsi, la Cour de cassation casse l’arrêt attaqué, renvoyant une nouvelle fois l’affaire, cette fois devant la Cour d’appel de Paris.
Affaire à suivre…