Loi de réforme de la justice : les transferts de compétence vers le juge de l’exécution

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Sources : Loi n°2019-222, 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

 

Cons. const. 21 mars 2019, décis. n° 2019-778 DC

 

Adoptée à l’issue de travaux parlementaires tumultueux et dans le sillage d’une décision très attendue du Conseil constitutionnel (Cons. const. 21 mars 2019, décis. n° 2019-778 DC, la loi Justice réforme non seulement le déroulement de plusieurs procédures (en l’occurrence, la saisie des rémunérations, la saisie-attribution, la saisie immobilière, l’expulsion, la saisie conservatoire des créances et, dans une moindre mesure, la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances) mais également les prérogatives des autorités chargées de les mettre en œuvre ou de les contrôler (à savoir l’huissier de justice et le juge de l’exécution).

 

Ainsi, à compter d’une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard le 1er janvier 2020 (L. n° 2019-222, art. 109, V), dans le cadre de la procédure d’expulsion, est supprimée la nécessité d’une autorisation préalable du juge de l’exécution pour la mise en vente aux enchères publiques des meubles se trouvant sur les lieux. Dans le même ordre d’idées, les meubles qui ne sont pas susceptibles d’être vendus seront « réputés abandonnés », alors qu’en droit positif le juge de l’exécution doit les déclarer comme tels (C. pr. exéc., art. L. 433-2, al. 1er, tel que modifié par L. n° 2019-222, art. 14, al. 1er, 5°). Il y a là sans doute la manifestation d’un souci de rapidité et de simplification procédurale. Plus généralement, on perçoit ici un nouvel exemple d’un mouvement progressif de déjudiciarisation.

 

On relève surtout une modification des modalités d’assistance et de représentation devant le juge de l’exécution (C. pr. exéc., art. L. 121-4, tel que modifié par L. n° 2019-222, art. 5, IV) dans les instances introduites à dater du 1er janvier 2020 (L. n° 2019-222, art. 109, II). Actuellement, sauf exception (notamment en matière de saisie immobilière), les parties disposent de la faculté de se faire assister ou représenter devant ce juge conformément aux règles applicables devant le tribunal d’instance. Autrement dit, elles peuvent se défendre elles-mêmes (C. pr. exéc., art. R. 121-6) ou solliciter une des personnes énumérées à l’article R. 121-7 du code des procédures civiles d’exécution (par ex., un avocat ou encore leur conjoint, leur concubin, leur partenaire lié par un pacte civil de solidarité, etc.).

 

La réforme prévoit une extension de la représentation obligatoire par ministère d’avocat devant le juge de l’exécution. Cette extension souffre certaines limites tenant à la procédure mise en œuvre (ne sont pas concernées les demandes relatives aux expulsions) ou au montant du litige. Sur ce dernier point, un montant en deçà duquel la représentation n’est pas obligatoire doit être fixé par décret en Conseil d’État. Le seuil de 10 000 € devrait être retenu (en ce sens, v. le rapport annexé à la L. n° 2019-222, spéc. n° 1.2.2.).

 

Toujours à compter du 1er janvier 2020 (L. n° 2019-222, art. 109, XXIII), une modification d’importance va concerner la procédure de saisie des rémunérations. Cette procédure se distingue aujourd’hui des autres saisies mobilières en raison de son caractère judiciaire et du fait qu’elle entre dans la compétence du juge d’instance. La concernant, le législateur opère un transfert de compétence au profit du juge de l’exécution (v. COJ, art. 213-6, al. 5, créé par L. n° 2019-222, art. 95, 31°). Ainsi, les réformes qui intéressent le juge de l’exécution ne concernent pas seulement les modalités de représentation des parties mais également son office.

 

Sont toutefois logiquement exclus de la connaissance de ce juge les demandes et moyens de défense qui échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. On assiste donc au parachèvement du processus de concentration du contentieux de l’exécution forcée entre les mains de ce juge.

 

Cette évolution simplifie les règles d’organisation juridictionnelle applicables en ce domaine, mais ne s’accompagne pas d’un travail de recodification. En effet, les dispositions régissant la procédure de saisie des rémunérations, actuellement présentes dans le code du travail (C. trav., art. L. 3252-1 s. ; art. R. 3252-1 s.) ne sont toujours pas intégrées dans le Code des procédures civiles d’exécution. Elle serait pourtant souhaitable en termes d’accessibilité des règles applicables aux différentes procédures civiles d’exécution.

 

La procédure de saisie des rémunérations va connaître une autre réforme – intéressant, cette fois, sa nature judiciaire –, dont la date précise d’entrée en vigueur demeure aujourd’hui méconnue. Une ordonnance doit être adoptée en ce sens par le gouvernement d’ici le 24 mars 2020 (L. n° 2019-222, art. 13). La concernant, il y a lieu de rappeler, qu’à ce jour, il incombe au directeur de greffe du tribunal d’instance de veiller au bon déroulement des opérations de saisie (C. trav., art. 3252-20). Dans l’hypothèse fréquente d’une pluralité de créanciers saisissants, le versement de la somme objet de la saisie est réalisé par chèque ou par virement établi à l’ordre du régisseur installé auprès du greffe de cette juridiction (C. trav., art. R. 3252-27, al. 3). La répartition de cette somme entre lesdits créanciers s’effectue alors, sous l’égide du greffier, conformément aux modalités définies aux articles R. 3252-34 et suivants du Code du travail. La réforme de la loi Justice prévoit que la réception, la gestion et la répartition des fonds issus de telles saisies relèveront de la compétence de la Caisse des dépôts et consignations. Une réforme similaire touche d’ailleurs les sommes consignées dans le cadre d’une expertise.

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