Force de chose jugée d’une créance définitivement admise au passif d’une SCI, et tierce opposition de l’associé.

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

Source : Cass. Com 20 janvier 2021 – Pourvoi n° 19-13.539 F + P + I

 

La situation des associés d’une société civile, lorsque cette dernière est en procédure collective, est bien inconfortable.

 

En effet, chaque associé est tenu indéfiniment du passif de la société, à hauteur de sa quote-part dans le capital social.

 

En pratique, on observe un contentieux très important entre les banques auprès desquelles sont souscrits les emprunts des sociétés civiles immobilières, et les associés de ces SCI lorsque le projet échoue et que la société civile est placée en procédure collective.

 

Procéduralement, la banque est tenue de procéder comme suit :

 

–  Tout d’abord, elle obtient la condamnation de la société civile à rembourser les sommes ;

 

–  La SCI n’a alors d’autre choix que de déposer le bilan, et l’ouverture de la procédure collective vaut vaines poursuites de la banque à l’encontre du débiteur principal ;

 

–  La banque est alors bien fondée à poursuivre les associés personnellement du chef des dettes contractées par leur société.

 

Tel est précisément le cas d’espèce de l’arrêt ici commenté.

 

Une banque avait obtenu la condamnation d’une SCI, laquelle sollicite l’ouverture d’une Liquidation Judiciaire.

 

La banque déclare sa créance, laquelle est définitivement admise au passif.

 

La banque se tourne alors vers les associés qui, estimant que certains arguments n’ont pas été soulevés par la SCI dans le cadre du contentieux, forment tierce opposition à l’encontre du jugement ayant condamné la société civile, sollicitant notamment la nullité du prêt.

 

Les Juges du fond jugent recevable cette tierce opposition, mais l’arrêt est cassé par la Cour de Cassation qui pose la solution selon laquelle « l’autorité de chose jugée qui s’attache à la décision irrévocable d’admission d’une créance au passif de la Liquidation d’une société civile s’impose à ses associés, de sorte que s’il n’a pas présenté contre une telle décision la réclamation prévue par l’article R 624-8 du Code de Commerce, dans le délai fixé par ce texte, l’associé d’une société civile en liquidation judiciaire est sans intérêt à former tierce opposition à la décision, antérieure, condamnant la société au paiement de ladite créance, et sur le fondement de laquelle celle-ci a été admise ».

 

La décision suppose d’examiner tous les volets procéduraux du dossier.

 

Tout d’abord, s’agissant de la tierce opposition, il convient de rappeler qu’il s’agit d’une procédure ouverte à tout tiers à une décision de justice, à l’encontre duquel ladite décision est susceptible de porter préjudice.

 

Il s’agit d’un recours dont le délai de recevabilité est particulièrement long, puisqu’il est de 30 ans.

 

Il est de jurisprudence constante qu’un associé, indéfiniment tenu des dettes de la société civile, s’il est bien un tiers au contentieux entre la société et sa banque, est néanmoins recevable à former tierce opposition dans la mesure où le jugement de condamnation peut évidemment lui porter préjudice compte tenu de sa responsabilité indéfinie.

 

C’est sur la base de cette jurisprudence, ancienne et constante, que les associés avaient engagé la procédure.

 

Toutefois, s’est posée dans le dossier la question de l’articulation de cette tierce opposition avec le processus d’admission au passif de la créance de la banque.

 

En effet, l’établissement bancaire avait dûment déclaré sa créance, laquelle avait fait l’objet d’une décision définitive d’admission.

 

L’état des créances avait ainsi été publié au BODACC.

 

Sur le sujet, il convient de rappeler que les tiers ont, là aussi, une voie de recours qui leur est spécifiquement ouverte par l’article R 624-8 du Code de Commerce.

 

Ainsi, tout tiers peut former réclamation à l’encontre de l’état des créances dans un délai de 30 jours à compter de sa publication au BODACC.

 

Passé ce délai, la décision devient alors définitive et est opposable erga omnes.

 

Cette opposabilité résulte, selon la Cour de Cassation, de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’admission au passif.

 

Et dès lors que cette décision d’admission au passif s’impose aux associés, ceux-ci sont alors irrecevables à remettre en cause la décision, antérieure, de condamnation qui fonde la créance définitivement admise au passif.

 

Ils sont ainsi privés d’intérêt à agir pour former cette tierce opposition à l’encontre du jugement ayant condamné la société envers la banque.

 

La solution est d’une grande importance pratique puisque cela signifie que les associés ont tout intérêt soit à intervenir volontairement dans le cadre de l’instance opposant la banque à leur SCI, soit à immédiatement exercer leur recours propre de tiers opposant.

 

En effet, toujours d’un point de vue pratique, la décision définitive de condamnation déclenche quasiment systématiquement un état de cessation des paiements, et corrélativement l’ouverture d’une procédure collective d’une part, et le démarrage du processus de vérification des créances, d’autre part.

 

C’est-à-dire que le temps, pour les associés, devient compté.

 

Et une fois l’état des créances publié au BODACC, et le délai de réclamation d’un mois écoulé, il sera trop tard.

 

A bon entendeur.

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