Pour prouver l’imputabilité des désordres, il suffit au maître de l’ouvrage d’établir qu’il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché. Lorsque l’imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s’exonérer qu’en démontrant qu’ils sont dus à une cause étrangère.
Cour de cassation, 11 septembre 2025, n° 24-10.139
I –
Un maître d’ouvrage a confié à un entrepreneur des travaux d’électricité pour les besoins de la construction d’une maison d’habitation.
Les travaux ont été réceptionnés.
Par la suite, la maison a été détruite par un incendie.
Après expertise judiciaire, le maître de l’ouvrage et son assureur multirisque-habitation ont assigné l’entrepreneur et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale.
II –
La Cour d’appel a jugé que la responsabilité décennale de l’entrepreneur n’était pas engagée.
L’arrêt retient en effet que, si le sinistre a pris naissance dans le tableau électrique, il n’est pas démontré avec certitude qu’il est en lien avec un vice de construction ou une non-conformité affectant cet élément, l’expert n’ayant pu faire de constatations techniques suffisantes au regard de son état de dégradation, et ayant raisonné en écartant des hypothèses telles que l’acte de malveillance ou le défaut d’alimentation électrique externe, sans pouvoir être formel.
La Cour d’appel en a déduit qu’il n’est pas démontré que le sinistre est imputable aux travaux électriques réalisés par l’entrepreneur, lequel n’a pas la charge de démontrer une cause étrangère en l’absence d’imputabilité certaine.
Le maître de l’ouvrage et son assureur ont formé un pourvoi en cassation et font grief à l’arrêt de dire que la responsabilité décennale de l’entrepreneur n’est pas engagée, alors « que l’électricien est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, du sinistre ayant une origine électrique, quand bien même sa cause exacte serait indéterminée, sauf si ce constructeur démontre que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».
III –
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.
La Haute juridiction rappelle qu’aux termes de l’article 1792 du code civil, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
Toutefois une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.
La Cour de cassation rappelle que, d’une part, la présomption de responsabilité pesant sur les constructeurs qui résulte de ce texte est déterminée par la gravité des désordres, indépendamment de leur cause (3e Civ., 1er décembre 1999, pourvoi n° 98-13.252, publié).
D’autre part, il est jugé que cette présomption doit être écartée lorsque les désordres ne sont pas imputables aux travaux réalisés par l’entrepreneur (3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-13.271, publié). En effet, la charge de cette présomption ne peut être étendue à des constructeurs dont il est exclu, de manière certaine, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci sont en lien avec leur sphère d’intervention.
Il en résulte :
- Que, s’agissant du lien d’imputabilité, il suffit au maître de l’ouvrage d’établir qu’il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché ;
- Que, lorsque l’imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s’exonérer qu’en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère.
En conséquence, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, puisqu’en l’espèce, le sinistre, un incendie, a pris naissance au niveau du tableau électrique, élément relevant directement de la sphère d’intervention de l’entrepreneur, chargé des travaux d’électricité.
Dès lors, l’imputabilité des désordres aux travaux de l’entrepreneur est établie, puisqu’il ne peut être exclu, au regard de la nature et du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché.
La présomption de responsabilité décennale s’applique donc de plein droit et ne peut être écartée au seul motif que la cause précise des désordres demeure incertaine ou inconnue.
Il appartenait alors à l’entrepreneur, et à lui seul, de s’exonérer en démontrant l’existence d’une cause étrangère.
En l’absence d’une telle preuve, sa responsabilité devait être retenue.
IV –
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle donc que la responsabilité décennale repose sur une présomption de responsabilité de plein droit, applicable à tout constructeur lorsque :
- Les désordres compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ;
- Il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, qu’ils soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché ;
- Le constructeur ne démontre pas que ces désordres sont dus à une cause étrangère.