Rupture brutale de relations commerciales établies : évaluation du préjudice

Source : Cass. com., 23 janvier 2019, n° 17-26870

 

I – La marge brute, toute la marge brute ?

 

A la base, une histoire simple de rupture brutale de relation commerciale établie. Toutefois, l’arrêt commenté est intéressant sous l’angle de l’évaluation du préjudice subi par la victime de la rupture.

 

Un fabricant de chaussure rompt sa relation commerciale avec son commissionnaire avec un préavis de 5 mois. La Cour d’appel de Paris, seule compétente pour connaître du litige en cause d’appel, estime que le préavis aurait dû être de 12 mois et ajoute alors 7 mois au délai initialement fixé par l’auteur de la rupture.

 

Une fois la durée du préavis fixée vient l’étape cruciale de l’évaluation du préjudice subi. La Cour d’appel a jugé que l’auteur de la rupture devrait indemniser le commissionnaire sur la base de la marge brute que ce dernier n’a pas pu réaliser sur la durée du préavis non exécuté, montant auquel il faudrait déduire les frais fixes non engagés du fait de la rupture.

 

De son côté, le commissionnaire, débouté dans sa demande de percevoir la totalité de sa marge brute sur cette période, a formé un pourvoi.

 

La Cour de cassation a également rejeté sa demande en validant le raisonnement de la Cour d’appel de Paris qui a fait une exacte application de la méthodologie qu’elle a exposée sur ses fiches pédagogiques et sur laquelle il est intéressant de revenir.

 

II – Le choix de la marge fonction de la réparation intégrale du préjudice réellement subi

 

L’indemnisation du préjudice économique issue d’une rupture brutale nécessite le recours à la marge perdue par la victime du fait de cette rupture.

 

La notion de marge est donc centrale au point que la Cour d’appel de Paris consacre sur ses 12 fiches pédagogiques une au concept de marge (fiche n° 6).

 

Point central du raisonnement de la Cour d’appel : la victime doit, sur toute la durée du préavis, continuer à bénéficier de la marge qu’elle aurait perçue si la rupture n’était pas intervenue. En d’autres termes, la victime doit être rétablie dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de rupture. C’est l’application du principe de réparation intégrale.

 

Toutefois, si la Cour d’appel pose ce principe en faveur de la victime, elle en fixe aussi les limites avec un « juste prix » puisque l’indemnisation du dommage subi exclura de manière logique les frais et coûts non engagés en raison de la rupture, la victime ayant par conséquent fait l’économie de ces postes.

 

Sur ce point, la Cour d’appel précise que « pour réaliser son chiffre d’affaires l’entreprise engage des charges qui peuvent être de nature variable (achats des marchandises qui seront revendues, achats de sous-traitance, frais du personnel intérimaire, primes d’objectif versées au personnel commercial, honoraires divers…) ou de nature fixe (loyer des locaux, assurances, frais de personnel…) ».

 

Il s’agit donc de déterminer quels frais n’ont pas été engagés par la victime sur toute la durée du préavis du fait de la rupture afin de les déduire de la marge brute.

 

En résumé, l’évaluation du préjudice en cas de rupture brutale de relation commerciale établie se fait en plusieurs étapes :

 

1) détermination de la perte de la marge brute qui aurait dû être gagnée sur toute la période du préavis

 

2) détermination des frais et coûts « économisés » avec la rupture

 

3) déduction de ces frais et coûts « économisés » de la perte de marge brute (1-2)

 

Application pure et simple au cas d’espèce validée par la Cour de cassation.

 

La victime a perdu 124 214 € de commission sur toute la durée de préavis. En revanche, la rupture lui a permis d’éviter des frais de personnel et de loyer (frais fixes) sur cette même période de 71 039 €. Par conséquent, en application de la méthodologie de la Cour d’appel, le préjudice réellement subi par le commissionnaire est de 53 175 € de sorte qu’il ne pourra pas prétendre à une indemnisation supérieure à ce montant.

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