Quand l’atteinte aux données personnelles du salarié est justifiée par le droit à la preuve.

Thomas T’JAMPENS
Thomas T’JAMPENS

SOURCE : Chambre sociale de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP.P+B+R+I

 

Dans les faits, un salarié de l’AFP qui occupait également les fonctions correspondant Informatique et libertés, avait adressé à une entreprise cliente et concurrente de l’AFP, 5 demandes de renseignements par voie électronique en usurpant l’identité de sociétés clientes.

 

L’employeur a établit la faute du salarié en ayant recours à un expert informatique lequel va exploiter les fichiers de journalisation conservés sur les serveurs de la société.

 

Il sera démontré par constat d’huissier que les fichiers litigieux avaient été envoyés à partir de l’adresse IP du salarié.

 

Le salarié licencié pour faute grave saisira le Conseil de Prud’hommes, estimant que son licenciement était injustifié car fondé sur des éléments de preuve illicites (fichiers non déclarés à la CNIL), sollicitant sa réintégration.

 

La Cour d’appel débout le salarié de ses demandes considérant que « les logs, fichiers de journalisation et adresses IP, qui constituaient un traçage informatique, n’étaient pas soumis à une déclaration de la CNIL, ni à une information du salarié, dès lors qu’ils n’avaient pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs ».

 

Le mode de preuve étant licite, la faute du salarié démontrée son licenciement pour faute grave était donc justifiée.

 

Sur le fondement d’une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale le salarié forme un pourvoi en cassation.

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation donne en partie raison au salarié au visa de l’article 2 de la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : « {…} Constitue un fichier de données à caractère personnel tout ensemble structuré de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés, que cet ensemble soit centralisé, décentralisé ou réparti de manière fonctionnelle ou géographique ».

 

Ainsi, les adresses IP sont caractérisées comme des données à caractère personnel[1] puisqu’elles permettent d’identifier indirectement une personne physique. De plus, leur collecte par l’exploitation d’un fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel qui devait donc faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL.

 

Il est à noté que désormais, l’adoption du RGPD a modifié ce principe de déclaration/autorisation préalable à une autorité compétente, puisqu’il est imposé à l’employeur d’informer directement les salariés de la possibilité de traçage de leur matériel informatique (charte informatique, avenant au contrat de travail, information du CSE, etc…).

 

Malgré le constat de cette absence de déclaration, qui aurait dû conduire au rejet des preuves établies par l’employeur et que par conséquent le licenciement du salarié se trouvait dénué de cause réelle et sérieuse, la Cour de Cassation opère un contrôle de proportionnalité entre le droit au respect de la vie privée dont bénéficie le salarié et le droit à la preuve de l’employeur.

 

Pour cela, il est intéressant de relever qu’au sein de sa note explicative, les Hauts Magistrats font référence à deux jurisprudences :

 

  La première[2] favorable à l’employeur puisque lui consacrant le droit de produire des éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, dès lors qu’il démontre que cette atteinte est nécessaire à l’exercice de du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.

 

  La seconde[3], octroyant au salarié le droit de s’approprier des documents appartenant à l’entreprise dès lors qu’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur, ce qu’il lui appartient de démontrer.

 

La Chambre sociale poursuit son raisonnement en citant la jurisprudence[4] de la Cour Européenne des Droits de l’Homme relative à la surveillance des salariés sur leur lieu de travail[5].

 

Il résulte de ces décisions que la violation du droit au respect de la vie privée des travailleurs peut être justifiée par le droit à la preuve si les circonstances de la cause le justifient. Il appartient toutefois au juge d’apprécier si les informations recueillies constituent une mesure nécessaire pour sauvegarder les droits de la défense.

 

Elle en déduit que le constat de l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats.

 

Le juge du fond devra désormais apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

 

Il ne faut pas voir une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du salarié, la Cour se chargeant bien de restreindre cette atteinte de l’employeur aux seules circonstances où la production de la preuve est indispensable et non simplement nécessaire conformément à sa jurisprudence antérieure.

 

Se faisant, la Cour de cassation fait de nouveau primer le droit à la preuve sur le droit au respect de la vie privé du salarié, admettant que l’employeur ait eu recours à un système de récolte de données personnelles non déclarée et donc par principe illicite.

 

Cet arrêt n’est pas sans rappeler un arrêt récent s’agissant de l’utilisation de l’employeur des posts Facebook d’un salarié dont il a eu connaissance par le biais d’autres salariés afin de justifier le licenciement pour faute grave[6].

 

Il convient d’attirer la vigilance des employeurs sur les nouveaux modes de preuves qui se développent avec l’essor des nouvelles technologies et au regard des récentes jurisprudences étudiées permettent à l’employeur de porter atteinte à la vie privée du salarié sans que le mode de preuve utilisé n’apparaisse comme déloyal.

 

Il pourrait y avoir un effet boomerang, selon lequel le salarié pourrait également faire usage d’enregistrement à l’insu dès lors qu’il ne s’agit pas d’un stratagème ou d’extraction de son disque dur afin de démontrer des manquements de son employeur.

 

[1] 1ère Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-22.595,

 

[2] Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15 10.203,

 

[3] Soc., 31 mars 2015, pourvoi n° 13 24.410,

 

[4] CEDH, Barbulescu, 5 sept. 2017, n° 61496/08 et CEDH, 17 oct. 2019, Lopez Ribalda, n° 1874/13 et 8567/13, (§ 151)

 

[5] Déjà commenté ici

 

[6] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058

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