Les bulletins de paie communiqués dans le cadre d’un contentieux peuvent-ils être anonymisés ?

Thomas T’JAMPENS
Thomas T’JAMPENS

SOURCE : Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 16 mars 2021 n°19-21.063, F-P.

 

Une salariée s’estimant victime de discrimination salariale en raison de son sexe, avait saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale afin d’obtenir la transmission par son employeur de documents contenant les informations suivantes :

 

  Position actuelle,

 

  Coefficient actuel,

 

  Salaire actuel,

 

  Coefficient d’embauche,

 

  Date d’embauche,

 

  Salaire d’embauche.

 

La demande de la salariée est accueillie favorablement par le Conseil de Prud’hommes qui enjoint l’employeur sous astreinte à communiquer les pièces sollicitées.

 

L’employeur s’est exécuté partiellement en fournissant lesdits éléments mais anonymisés.

 

Une seconde ordonnance de référé condamnera l’employeur à produire les mêmes documents et à payer à la salariée une somme provisionnelle au titre de la liquidation de l’astreinte.

 

La cour d’appel retient que le bulletin de paie d’un salarié comprend des données personnelles telles que l’âge, le salaire, l’adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l’existence d’arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, l’employeur était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l’autorisation de ses salariés.

 

En conséquence, la salariée est déboutée de sa demande de condamnation d’astreinte.

 

Le droit au respect à la vie privée mais également l’application du Règlement Général sur la Protection des Données pouvait conduire à légitimer la démarche de l’employeur d’anonymiser les fiches de paies de ses salariés.

 

La salariée sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et plus particulièrement du droit à la preuve forme un pourvoi en cassation.

 

La cour de cassation[1] avait déjà considéré que le bulletin de salaire s’il contient l’ensemble des mentions exigées par le code du travail, contient des données personnelles, telles que « l’âge, le salaire, l’adresse personnelle, la domiciliation bancaire et l’existence d’arrêts de travail pour maladie ».

 

Dès lors, la communication de telles données personnelles, même dans un contexte judicaire, est constitutive en principe d’une violation de la vie privée des salariés concernés.

 

En conséquence, l’employeur qui afin de contester judiciairement la candidature de certains salariés, avait communiqué à des syndicats leurs bulletins de salaire porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. En effet, en ne s’enquérant pas de l’accord des salariés concernés et en n’occultant pas les données non nécessaires au succès de la prétention (soit l’emploi occupé et la classification voire au coefficient), l’employeur ne pouvait échapper à la caractérisation d’un trouble manifestement illicite.

 

Dans le cas d’espèce, l’employeur avait recherché préalablement à toute communication l’autorisation de ses salariés. N’ayant pas obtenu cet accord de l’ensemble des salariés visés par la décision de la formation des référés, l’employeur avait pris le soin d’anonymiser certaines données.

 

La salariée reproche donc à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la communication des données non anonymisées n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, à savoir la démonstration d’une discrimination salariale fondée sur le sexe.

 

La Chambre sociale de la Cour de cassation se fondant sur l’article 6 de la CEDH casse l’arrêt d’appel, considérant que la communication de données anonymisées n’était pas proportionnée au but poursuivi.

 

Ainsi, la Cour de cassation complète sa jurisprudence en invitant les juges du fond à s’assurer que la protection de la vie privée des salariés ne soit pas de nature à porter atteinte à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination.

 

A travers cet arrêt la jurisprudence de la Cour de cassation confirme en ce sens qu’elle considère comme justifiées les atteintes à la vie privée des salariés que ce soit au profit du droit à la preuve de l’employeur[2] ou du salarié, comme c’est le cas ici.

 

[1] Cass. Soc, 7 novembre 2018 n° 17-16,799

 

[2] Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 17-19.523, FP-P+B+R+I et Cass. Soc. 30 septembre 2020, n°19-12.058, FS. P+B+R+I

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