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Le changement de méthode comptable opéré par le cessionnaire, notamment sur la valorisation des stocks, postérieurement à la cession, ne doit pas être prix en compte par l’Expert évaluateur de l’article 1592 du Code Civil, dont les travaux s’imposent aux parties, sauf excès de pouvoir ou erreur grossière.
Sources :
I –
Il n’est pas rare que les parties à la cession d’une entreprise s’accordent sur un complément de prix, lequel peut dépendre généralement des résultats de l’exercice en cours à la date à laquelle l’entreprise est cédée ou des résultats à venir dans les années qui suivent la cession.
Le complément de prix est toujours fixé conventionnellement par les parties, lesquelles prévoient le recours « à l’arbitrage » d’un tiers au visa de l’article 1843-4 du Code Civil ou de l’article 1592 du même Code.
L’article 1843-4 alinéa 1 est ainsi rédigé :
« Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible ».
L’article 1592 précise, quant à lui :
« Il (le prix) peut cependant être laissé à l’estimation d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers ».
Une lecture, même transversale, de ces deux textes, nous apprend que l’article 1843-4, au demeurant plus complet que le second, s’impose lorsque la loi renvoie au texte. Il s’agit, bien entendu des cessions de titres se rapportant aux exclusions ou au retrait prévues par la loi.
Il s’en déduit que le texte qui aurait vocation à s’appliquer dans les cessions d’entreprise est l’article 1592. Mais les usages démontrent que les parties s’abstiennent de faire référence à ce texte en renvoyant leur litige au tiers évaluateur de l’article 1843-4 du Code Civil.
Cette référence est salutaire puisque l’article 1592 précise, à la différence de l’article 1843-4, que « si le tiers ne veut pas ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point vente », hypothèse évidemment que les parties entendent exclure en imposant, au contraire, à ce tiers de procéder à une évaluation.
Ceci explique, peut-être, la raison pour laquelle l’univers de l’article 1592 est moins bien maîtrisé que l’article 1843-4 au point de conduire les parties à soumettre la décision de la Juridiction du second degré qui tranchait leur litige à la censure de la Cour de Cassation.
II –
II – 1.
Le litige qui opposait les parties s’inscrit sur fonds de griefs réciproques, le cédant reprochant au cessionnaire d’avoir modifié la permanence des méthodes comptables en modifiant le mode de comptabilisation des stocks qui avait conduit à une baisse significative du complément de prix et le cessionnaire reprochant au cédant une méthode de comptabilisation des stocks trop avantageuse pour les résultats s’apparentant à une manœuvre dolosive.
Le complément de prix étant assis sur la période où les comptes sociaux avaient été arrêtés par le cessionnaire, les Juges du fond avaient à répondre à deux questions :
- Quelle est la portée de l’article 1592 du Code Civil : est-ce une simple expertise judiciaire ou, au contraire, la valeur retenue par l’Expert s’impose-t-elle aux parties de la même manière que celle de l’article 1843-4 du Code Civil précité ;
- En cas de changement de méthode, quelle est la méthode que doit retenir l’Expert évaluateur.
II – 2.
La Cour de Cassation, dans son Arrêt non publié, rappelle que le tiers estimateur n’est pas l’Expert Judiciaire de l’article 145 du Code de Procédure Civile. Ainsi, en remettant leur litige sur l’évaluation à un tiers, les parties font de la décision de celui-ci leur loi et seule une erreur grossière commise par ce tiers serait de nature à remettre en cause le caractère définitif de cette détermination[1]. Cette évaluation s’impose de la même manière au Juge qui doit la retenir sans l’amender.
II – 3.
En revanche la méthode d’évaluation que l’Expert doit retenir (à défaut, il commettrait une faute grossière) s’inscrit dans la permanence des méthodes comptables. Cette règle fondamentale est d’ailleurs inscrite à l’article L.121-5 du Plan Comptable Général et à l’article L.123-17 du Code de Commerce. Elle exige que les pratiques comptables soient cohérentes d’un exercice à l’autre, sauf changement justifié et dûment documenté[2]. C’est donc à bon droit que les travaux de l’Expert ont été validés dès lors qu’ils se fondaient sur les méthodes comptables utilisées par le cédant et non celles modifiées par le cessionnaire.
[1] Voir en ce sens Cass. Com. 06 juin 2001 n°98-18.503
[2] Voir en ce sens Cass. Com. 21 mars 1995 n° 93-14.580 Bull. Civ. IV