Le premier décret « portant restitution d’un bien culturel ayant fait l’objet d’une spoliation dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 » vient d’être publié le 27 mai 2005. Il s’agit de la première application de la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
I –
La loi précitée, promulguée le 23 juillet 2023, a créé une dérogation dans le code du patrimoine au principe d’inaliénabilité des collections publiques et instaure un cadre particulier permettant la sortie du domaine public de biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 en raison des persécutions antisémites.
Cette loi permet de ne plus avoir à recourir à un texte législatif spécifique ou lois d’espèce pour restituer les œuvres spoliées dans le contexte des persécutions antisémites. On se souvient notamment de la loi du 21 février 2022[1] qui avait permis la restitution de quinze tableaux (dont une œuvre de Klimt, Rosiers sous les arbres), dessins et sculpture spoliées avant et durant la Seconde Guerre Mondiale, jusque-là placées dans les collections du musée d’Orsay, du château de Compiègne et du musée du Louvre.
Il revient à la Commission pour l’Indemnisation des Victimes de Spoliation de donner un avis antérieurement à toute décision de sortie d’une œuvre des collections publiques.
La loi a été insérée dans le Code du patrimoine en son article L115-2 :
« Une personne publique prononce, dans les conditions prévues à l’article L. 115-3 et aux fins de restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit, par dérogation au principe d’inaliénabilité prévu à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la sortie de ses collections d’un bien culturel relevant de l’article L. 2112-1 du même code ayant fait l’objet d’une spoliation entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées par l’Allemagne nazie, par les autorités des territoires que celle-ci a occupés, contrôlés ou influencés et par l’Etat français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. […]»
II –
Le décret du 27 mai 2005 concerne un livre consacré à la vie et l’œuvre du peintre Vittore Carpaccio qui appartenait à un historien d’art allemand, August Liebmann Mayer, déporté et assassiné à Auschwitz. Hermann Goering est ensuite entré en possession du livre avant que la 2e DB ne le récupère après être entrée dans la résidence secondaire d’Adolf Hitler, le Berghof. Il rejoint les collections de la Bibliothèque nationale de France le 10 septembre 1945.
Le décret permet donc la sortie de l’ouvrage des collections de la BNF et sa remise à l’ayant-droit d’August Liebmann Mayer en application de l’article R1115-10 du Code précité :
« Lorsque le bien culturel relève du domaine public mobilier de l’Etat, sa sortie des collections est prononcée par décret du Premier ministre pris sur le rapport du ministre chargé de la culture ainsi que, le cas échéant, du ou des ministres dont l’administration ou un établissement placé sous sa tutelle assure la conservation du bien. »
Il s’agit donc du premier décret appliquant la loi du 23 juillet 2023 spécifique aux persécutions antisémites, dans un contexte plus global de réclamations de restitution de différents biens culturels spoliés, on pense bien entendu aux frises du Parthénon détenues par le British Museum, plus célèbre cas de réclamation de restitution, mais la tendance se multiplie notamment en Afrique où un nombre croissant de pays réclament les œuvres spoliées dans les anciennes colonies françaises.
En principe, la restitution d’œuvres spoliées se heurte au principe d’inaliénabilité des collections publiques, principe qui peut néanmoins être contourné par la mise en place du lourd dispositif législatif évoqué ci-avant.
Se dirige-t-on vers l’élaboration de lois similaires à celle du 23 juillet 2023 mais appliquées à d’autres situations et à d’autres époques ? Rien n’est moins sûr à l’heure actuelle où des voix s’élèvent pourtant, telle celle de l’avocat et historien de l’art Pierre Noual, pour réclamer une loi-cadre et une procédure administrative claire sans différencier les spoliations.
[1] Loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites