Le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

 

Source :CE 3/8 SSR, 19-09-2014, n° 361566

 

I-Le texte : l’article 1389 du CGI

 

« I. Les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location ou d’inexploitation d’un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel, à partir du premier jour du mois suivant celui du début de la vacance ou de l’inexploitation jusqu’au dernier jour du mois au cours duquel la vacance ou l’inexploitation a pris fin.

 

Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance ou l’inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu’elle ait une durée de trois mois au moins et qu’elle affecte soit la totalité de l’immeuble, soit une partie susceptible de location ou d’exploitation séparée (…) »

 

II- la jurisprudence

 

Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat, la première disposition du I de l’ article 1389 du CGI , relative à la vacance d’une maison normalement destinée à la location, ne vise que les immeubles à usage d’habitation.

 

D’autre part, le dégrèvement prévu en cas d’inexploitation d’immeuble à usage industriel ou commercial est expressément subordonné, par la seconde disposition dudit article, à la condition que l’immeuble soit habituellement utilisé par le contribuable lui-même [1]

 

Ainsi, le Conseil d’État a jugé que le bien-fondé d’une demande en dégrèvement de la taxe foncière cotisée à raison d’un immeuble à usage commercial ou industriel devait être apprécié à la lumière de la notion d’inexploitation de l’ensemble industriel dans lequel il s’intègre, le fait que cet immeuble serve partiellement à l’entreposage d’archives et de vieux matériel, et au logement d’un gardien, n’était pas de nature à le faire regarder comme faisant l’objet d’une exploitation partielle [2]

 

II-1 Vacance de maison destinée à la location

 

Les dégrèvements de la taxe foncière sur les propriétés bâties peuvent être accordés à raison des immeubles destinés à être loués à usage d’habitation (II-11) qui, effectivement offerts à la location (II-12), connaissent une interruption de l’occupation (II-13) dont ils étaient l’objet.

 

II-11. Locaux d’habitation

 

Le dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties prévu au I de l’ article 1389 du CGI , en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location, vise les immeubles destinés à être loués à usage d’habitation, qu’il s’agisse d’une maison ou d’un appartement S’agissant des emplacements de stationnement de véhicules[3]:

 

Les emplacements de stationnement de véhicules, même lorsqu’ils sont situés sur un terrain aménagé au pied d’un immeuble d’habitation, n’ont pas, à raison de leur usage, le caractère de « maison normalement destinée à la location » au sens des dispositions du I de l’article 1389 du CGI ; ils n’ont pas davantage le caractère de logements à usage locatif au sens des dispositions du III du même article ; par suite, ils ne peuvent bénéficier d’un dégrèvement de taxe foncière dans les conditions prévues à cet article [4]

 

II-12 Locaux destinés à la location

 

Pour ouvrir droit au dégrèvement, la vacance doit s’appliquer à une maison offerte en location[5], Par suite, le droit au dégrèvement ne peut être reconnu à l’égard de maisons qui n’ont pas ce caractère, même si elles n’ont pas été occupées pendant un certain temps.

 

A cet égard, s’agissant des logements de fonction attribués dans le cadre d’une concession pour utilité de service ou d’une convention d’occupation précaire, leurs propriétaires ne peuvent pas bénéficier, en cas de vacance de ces logements, du dégrèvement prévu a l’article 1389 du CGI.).

 

Par ailleurs, ne peut être considéré comme destiné à la location un immeuble dont le propriétaire décide la démolition (CE, arrêt du 15 juin 1959 déjà cité) ou qu’il a acquis dans ce but [6]

 

Les immeubles affectés à la location saisonnière ne sont pas au nombre des « maisons normalement destinées à la location » visées par l’article 1389 du CGI et ne peuvent bénéficier du dégrèvement prévu par cet article, quels que soient les motifs de la vacance [7]

 

II-13. Locaux vacants

 

D’une façon générale, on ne doit considérer comme vacante qu’une maison ou partie de maison ne renfermant aucun mobilier ou ne contenant qu’un mobilier notoirement insuffisant pour en permettre l’occupation.

 

Mais une maison louée ne peut en aucun cas être considérée comme vacante, même si le locataire ne l’occupe pas et la conserve dégarnie de meubles.

 

Ne peuvent dès lors être considérées comme vacantes :

 

– une maison occupée par un gardien, encore bien que ce dernier serait logé gratuitement[8]

 

– une maison occupée par des locataires dont la validité du titre d’occupation fait l’objet d’une contestation[9]

 

– une maison occupée par d’anciens locataires dont l’expulsion a été ordonnée par décision de justice et qui se sont maintenus dans les lieux[10]

 

A cet égard, il est précisé que ne sauraient avoir d’influence sur la décision :

 

– le fait que les loyers, versés en totalité au propriétaire, soient sur sa demande consignés entre les mains d’un officier ministériel[11] ;

 

– l’absence totale ou partielle de versement des loyers dus[12]

 

II-2 Inexploitation d’un immeuble à usage industriel ou commercial

 

II-21. Principe

 

Sont susceptibles de bénéficier du dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévu au I de l’ article 1389 du CGI les immeubles de toute nature dans lesquels s’effectuent des opérations relevant des impôts auxquels sont soumis les bénéfices industriels et commerciaux, qui, utilisés par le propriétaire lui-même, subissent une interruption de leur exploitation.

 

On doit entendre, par immeuble de toute nature, les bâtiments, chantiers, lieux de dépôt et autres emplacements analogues, et, d’une manière générale, tous les éléments imposables à la taxe foncière des propriétés bâties, même si ils ne présentent pas le caractère d’immeubles en droit civil.

 

II-221 Inexploitation effective

 

Pour apprécier l’inexploitation effective d’un immeuble, il convient de prendre en considération l’objet même de l’exploitation qui est la raison d’être de l’ensemble industriel dans lequel le bâtiment s’intègre, à l’exclusion des éventuelles utilisations accessoires ou secondaires de chaque bâtiment considéré isolément[13].

 

Conformément au principe posé par le I de l’article 1389 du CGI , il convient d’accorder le dégrèvement sollicité, notamment, à raison des usines en chômage, dès l’instant que leur inexploitation est effective, et sans qu’il y ait lieu de rechercher si elles peuvent ou non être louées.

 

Enfin, lorsqu’un établissement industriel n’est pas normalement destiné à être utilisé de façon habituelle – cas d’une usine de secours, par exemple – il ne peut être regardé comme inexploité bien qu’il soit resté en fait inutilisé.

 

II-222 Utilisation par le contribuable lui-même

 

Il résulte du texte même du I de l’article 1389 du CGI que l’inexploitation doit être appréciée uniquement par rapport au propriétaire.

 

Ne satisfait pas à cette condition un immeuble :

 

– que le propriétaire n’a jamais utilisé lui-même pour les besoins de son exploitation[14]

 

– quand celui-ci a clairement manifesté l’intention de ne pas en assumer lui-même l’exploitation soit en le proposant à la location[15]

 

– alors même que le locataire laisserait l’usine inexploitée[16]

 

– soit en le mettant en vente[17]

 

– dont la propriété est transférée dans le cadre d’une fusion-absorption à une société absorbante qui n’a jamais exploité elle-même le bien, auparavant utilisé par la société absorbée et qui était vacant au moment de la fusion[18]

 

-De même, lorsqu’un local industriel ou commercial est fermé par suite de la faillite du locataire, le propriétaire ne peut revendiquer le dégrèvement encore bien qu’il ait subi une perte de revenu.

 

III- L’apport de l’arrêt commenté

 

Par un arrêté le préfet du Loiret a procédé à la fermeture administrative de locaux à usage industriel en vue de l’exécution de travaux permettant leur dépollution.

 

Ces travaux, confiés à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) étaient en cours, lorsque le contribuable les a acquis..Celui ci a alors conformément aux textes sollicité sans l’obtenir de l’administration un dégrèvement de la taxe foncière.

 

Le tribunal administratif a jugé que la société ne pouvait bénéficier du dégrèvement au seul motif que le contribuable était devenu propriétaire des locaux sans les avoir lui-même exploités avant les travaux de dépollution.

 

Le conseil d’Etat censure cette décision au motif que la juridiction n’avait pas cherché à savoir si la société avait acquis les locaux en vue de les exploiter elle-même dès l’achèvement des travaux, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ;

 

CQFD : Lorsqu’un contribuable achète un immeuble dont l’exploitation, à des fins industrielles ou commerciales, est interrompue du fait de circonstances indépendantes de sa volonté, il peut prétendre à l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties s’il a acquis cet immeuble en vue de l’exploiter lui-même à des fins industrielles et commerciales

 

Eric DELFLY

Vivaldi-avocats

 


[1] CE, arrêt du 19 décembre 1975, n° 96860

[2] CE, arrêt du 13 novembre 1974, n° 94416.

[3] RM Lepeltier, n° 31171, JO Sénat du 21 juin 2001, p. 2085

[4] CE, arrêt du 30 mars 2007, n°278540

[5] CE, arrêt du 13 mai 1957, RO, p. 336 ; et arrêt du 15 juin 1959, Y…, RO, p. 440.

[6] CE, arrêt du 12 mai 1971, Société d’économie mixte d’équipement et d’aménagement du XVème, RJ, n° III, p. 128. En application du même principe, un immeuble donné en jouissance à titre gratuit n’ouvre pas droit au dégrèvement CE, arrêt du 22 décembre 1958, RO, p. 282.

[7] CAA Lyon, arrêt du 31 décembre 1996, n° 95LY00205.

[8] CE, arrêt du 22 décembre 1958, dame X…, RO, p. 282 ;

[9] CE, arrêts du 27 novembre 1957, RO, p. 465 ; 10 juin 1963, n° 59113 ; 20 juin 1 973, ., n° 87429 ;

[10] CE, arrêts du 9 janvier 1963, RO, p. 258 ; 24 janvier 1968, n° 69695

[11] CE, arrêt du 27 novembre 1957, RO, p. 465

[12] CE, arrêts du 9 janvier 1963, RO, p. 258 ; 24 janvier 1968, n° 69695, déjà cité.

[13] Le Conseil d’Etat a jugé qu’un bâtiment utilisé comme dépôt de matériel et d’archives depuis que l’exploitation de l’ensemble industriel dont il faisait partie intégrante avait été suspendue indépendamment de la volonté du contribuable, ne pouvait être considéré comme exploité au sens de l’article précité :CE , arrêt du 13 novembre 1974 , n° 94416

[14] CE, arrêt du 19 décembre 1975, n° 96860 ; CE, arrêt du 23 avril 1980, X… ;

[15] CE, arrêt du 10 mai 1967, RJCD, p. 132 ;

[16] CE, arrêt du 9 juillet 1975, n° 87720 ;

[17] CE, 29 octobre 1965, RO p. 423, et CE 9 janvier 1967, Req n° 62393 ;

[18] CE, arrêt du 18 mai 2005 n° 264718.

 

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