L’existence d’un différend antérieur à une démission peut rendre celle-ci équivoque, peu important que les manquements de l’employeur n’étaient pas mentionnés dans la lettre de démission.
La démission est l’acte par lequel par le salarié fait connaître à l’employeur sa décision de rompre le contrat de travail[1]. La démission doit résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail. Les juges ont un pouvoir souverain pour apprécier les circonstances de la rupture qui permettent d’évaluer si la démission est claire et non équivoque[2].
En cas de démission dite motivée, le salarié peut demander au juge de requalifier la démission en prise d’acte. La prise d’acte permet en effet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail[3]. Lorsque la démission résulte d’un comportement fautif de l’employeur, la volonté du salarié de rompre le contrat ne peut être considérée comme une volonté claire et non équivoque. Dans ces conditions, la rupture doit être requalifiée en prise d’acte et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission[4].
Il convient de distinguer deux situations : soit la lettre de démission en elle-même, fait état des manquements de l’employeur, soit la lettre de démission n’en fait aucune mention mais ces manquements apparaîtront au cours de la procédure. L’arrêt du 13 novembre 2025 correspond à l’application de la deuxième hypothèse.
En l’espèce, le salarié a démissionné le 19 avril 2021 après 20 ans d’ancienneté. Sa démission n’est pas motivée mais il a finalement saisi la juridiction prud’homale le 11 octobre 2021 afin que sa démission soit requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A l’appui de sa demande, le salarié remettait en cause sa démission, sans pour autant invoquer un vice du consentement, en raison de faits et de manquements imputables à son employeur, notamment une surcharge de travail.
La Cour de cassation n’approuve pas le raisonnement de la Cour d’appel qui, pour rejeter la requalification de la démission en une prise d’acte, avait retenu que le salarié supportait une pression en lien avec les responsabilités qui lui avaient été confiées, et une charge excessive de travail établie notamment par l’ampleur des heures supplémentaires retenues, mais que le manquement fautif de l’employeur qui pensait son salarié soumis à une convention de forfait régulière n’est pas démontré alors que de nombreuses journées de RTT ont été accordées au salarié et que la chronologie des candidatures de celui-ci à un départ volontaire dans le cadre du PSE et au cours de son entretien d’évaluation annuelle permet d’affirmer que la surcharge de travail invoquée, qui existait depuis de nombreuses années, ne constituait pas une circonstance contemporaine et déterminante de la démission, rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié avait, préalablement à la démission, fait état de l’importance de sa charge de travail lors des examens médicaux réalisés pour le contrôle de la santé au travail, alerté sa hiérarchie par un courriel du 10 octobre 2019 sur sa situation critique du fait de cette charge de travail devenue insupportable, sollicité une visite du médecin du travail le 24 octobre 2019 en signalant un contexte de surcharge de travail, et exposé, lors de l’entretien individuel d’évaluation annuelle ayant eu lieu le 2 février 2021 et dans ses commentaires annexés du 22 mars 2021, que l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle n’existait pas, que son périmètre d’intervention, trop vaste, sur différents fuseaux horaires et sans « backup », entraînait une charge mentale très élevée et permanente, mal vécue personnellement, ce dont elle aurait dû déduire l’existence d’un différend rendant la démission équivoque, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Par conséquent, la Cour Chambre sociale casse l’arrêt de la Cour d’appel et considère que la démission du salarié était équivoque de sorte qu’elle requalifie la démission en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt n’est pas inédit puisque la jurisprudence a eu l’occasion de considérer équivoque des démissions – dans lesquels les manquements de l’employeur n’étaient pas mentionnés dans la lettre de démission – notamment à la suite d’une modification unilatérale de la rémunération[5] ou encore des erreurs importantes dans la gestion du contrat de travail du salarié démissionnaire[6].
En définitive, cet arrêt rappelle que l’existence d’un différend antérieur à une démission, bien qu’elle ne soit pas motivée, n’est pas sans risque pour l’employeur.
Sources : Cass. soc., 13 nov. 2025, n° 23-23.535
[1] C. trav., art. L. 1231-1
[2] Cass. soc., 5 nov. 1987, n° 84-45.098
[3] Cass. soc., 25 mars 2014, n° 12-23.634
[4] Cass. soc., 15 mars 2006, n° 03-45.031 F-P+B
[5] Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-43.674 F-D
[6] Cass. soc., 6 janv. 2011, n° 08-43.279 F-D

