Bail dérogatoire : conclure six baux successifs en alternant deux preneurs, c’est possible.

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 11 mai 2017, n°16-13435

 

En l’espèce, un propriétaire de locaux les a successivement loués à bail dérogatoire de 23 mois :

 

le 27 novembre 1998 à la société French Accent du 1/12/1998 au 31/10/2000,

 

le 28 novembre 2000 à la société Plage Privée du 1/12/2000 au 31/10/2002,

 

le 22 novembre 2002 à la société French Accent du 1/12/2002 au 31/10/2004,

 

le 23 novembre 2004 à la société Plage Privée du 1/12/2004 au 31/10/2006,

 

le 20 novembre 2006 à la société French Accent du 1/12/2006 au 31/10/2008,

 

le 14 novembre 2008 à la société Plage Privée du 1/12/2008 au 31/10/2010 ;

 

avant de faire sommation, en fin de bail, à la société Plage Privée, de délaisser. Les deux locataires l’ont ainsi assigné aux fins de revendiquer la propriété commerciale, conformément aux dispositions de l’article L145-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi Pinel :

 

« Les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que le bail soit conclu pour une durée au plus égale à deux ans.

 

Si, à l’expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.

 

Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d’un nouveau bail pour le même local. »

 

A cet égard les preneurs affirmaient qu’une des deux sociétés détenait l’intégralité des parts de la seconde, et que les deux sociétés avaient le même gérant, de sorte que les baux dérogatoires successifs avaient été conclus indirectement avec la même personne morale, l’autre ne servant que de prête-nom.

 

Ils en déduisent que les baux dérogatoires ne visaient qu’à éluder frauduleusement les dispositions statutaires, qui doivent recevoir application, sur le fondement du principe fraus omnia corrumpit et de l’article L145-5 du Code de commerce.

 

Le bailleur niait toute fraude en affirmant que les deux personnes morales étaient distinctes et que les locaux avaient été libérés entre deux période d’occupation, de sorte qu’il y avait effectivement une succession de baux dérogatoires réguliers.

 

La Cour d’appel d’Aix en Provence accueille favorablement les prétentions du bailleur et rejette la demande des preneurs, qui se pourvoient en cassation.

 

Contrairement à son arrêt du 8 avril 2010[1], dans lequel elle estimait que la succession de baux dérogatoires conclus avec une société, puis avec la gérante de ladite société, constituait une fraude au Statut, la Troisième Cambre civile de la Cour de cassation estime que la conclusions de baux dérogatoires successifs avec deux personnes morales distinctes dont il n’est pas démontré que l’une aurait acquitté les loyers de l’autre, n’est pas frauduleux.

 

En conséquence, puisqu’aucune preuve du maintien des preneurs dans les locaux n’était rapportée, ces derniers ne pouvaient revendiquer la propriété commerciale.

 

La Cour de cassation rejette donc le pourvoi.

 

A noter : la Loi Pinel du 18 juin 2014 a modifié la durée du bail dérogatoire, le portant à trois ans. La modification de l’article L145-5 du Code de commerce n’aurait toutefois été d’aucun effet sur l’issue de ce litige.

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats 


[1] 3ème civ, 8 avril 2010, n°08-70338, Publié au Bulletin

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