Nullité du contrat principal et faute dans l’octroi du crédit affecté : quelle responsabilité pour le banquier ?

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Tel n’est pas le cas lorsque les emprunteurs ont reçu, sans émettre de réserves, une éolienne en bon état de fonctionnement et que la banque a débloqué les fonds à leur demande.

 

Source : Cass. civ. 1ère , 25 novembre 2020, n° 19-14.908, P + I

 

La faute du prêteur, qui a versé les fonds sans contrôler la régularité formelle du contrat principal ou sa complète exécution, ne peut le priver de sa créance de restitution que si elle a causé un préjudice à l’emprunteur.

 

I – Les textes en question

 

Le crédit affecté, que le Code de la consommation désigne également « crédit lié », est celui « servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique » selon l’article L. 311-1, 11° du Code de la consommation.

 

Le crédit est donc fondamentalement lié au contrat principal, l’anéantissement du second entraînant nécessairement celle du premier en application de l’article L. 312-55 du Code de la consommation précisant que : « En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur ».

 

L’emprunteur est donc par principe tenu de restituer le capital prêté. Toutefois, la Cour de cassation a jugé que le prêteur est privé de sa créance de restitution du capital emprunté s’il a versé les fonds sans procéder aux vérifications préalables lui permettant de relever que le contrat principal est affecté d’une cause de nullité[1].

 

II – L’espèce

 

Le 09 juin 2012, après un démarchage à domicile, des emprunteurs ont acquis une éolienne auprès de la société Vensolia Energies, qui a été placée en liquidation judiciaire le 24 octobre 2012. Ils ont souscrit, le jour de l’acquisition, auprès de la société Sygma banque, aux droits de laquelle se trouve la société BNP Paribas Personal Finance, un prêt destiné à la financer. L’éolienne a été installée le 02 juillet 2012 et la banque a versé les fonds au vendeur au vu d’un certificat signé par les emprunteurs attestant de la livraison de l’éolienne et de la réalisation des travaux, et lui demandant de débloquer les fonds.

 

Par acte du 21 octobre 2013, les emprunteurs ont assigné la banque et le liquidateur judiciaire du vendeur, ès qualités, en annulation des contrats de vente et de prêt, en restitution des échéances payées et en paiement de dommages-intérêts, en se prévalant d’irrégularités du contrat de vente relatives à l’absence de certaines mentions obligatoires.

 

Le contrat de vente ainsi que le contrat de crédit ont été annulés, mais la cour d’appel de renvoi, statuant après un premier arrêt de la Cour de cassation non publié au Bulletin[2], rejette la demande de dommages-intérêts et condamne les emprunteurs à rembourser le capital prêté, versé au vendeur. Les emprunteurs forment un second pourvoi.

 

III – Le pourvoi en cassation

 

Les emprunteurs soutiennent que la résolution ou l’annulation d’un contrat de crédit accessoire, en conséquence de l’annulation du contrat constatant la vente qu’il finance, n’emporte pas, pour l’emprunteur, l’obligation de rembourser au prêteur le capital prêté si ce dernier a commis une faute. Or, commet selon eux une telle faute le prêteur qui, en exécution d’un contrat de crédit affecté, libère les fonds prêtés sans vérifier la régularité du contrat principal. Ils en déduisent que le prêteur doit conséquemment être privé de sa créance de restitution.

 

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle commence par rappeler le principe et l’exception dont il est assorti. La résolution ou l’annulation d’un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté.

 

Cependant, le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut néanmoins être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute. La cour d’appel, ayant constaté que les emprunteurs avaient reçu, sans émettre de réserves, une éolienne en bon état de fonctionnement et que la banque avait débloqué les fonds à leur demande, a donc pu estimer, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’ils ne justifiaient pas d’un préjudice en lien avec la faute invoquée, tenant à l’absence de vérification de la régularité formelle du contrat principal et qu’ils devaient restituer le capital emprunté.

 

La Haute juridiction réitère ici une jurisprudence déjà posée[3] et la précise de façon didactique, diffusant largement cette décision, en retenant que la faute du prêteur qui a versé les fonds sans avoir contrôlé, comme il en a l’obligation, la régularité formelle du contrat principal ou sa complète exécution, peut le priver, en tout ou en partie, de sa créance de restitution. Mais encore faut-il que la réalité du préjudice en lien avec cette faute soit établie par l’emprunteur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

 

[1] Cass. civ. 1ère, 27 mars 2019, n° 18-14.400 ; Cass. civ. 1ère, 9 mai 2019, n° 18-11.751

 

[2] Cass. civ. 1ère, 31 janv. 2018, n° 16-28.138

 

[3] Cass. civ. 1ère, 11 mars 2020, n° 18-26.189

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