La rémunération du crédit ne bénéficie qu’au prêteur !

Jacques-Eric MARTINOT
Jacques-Eric MARTINOT - Avocat

Source : Cass.Civ., 25 Mars 2020, n°18-23803, n°212 FS-P + B

 

Une Banque avait consenti deux prêts à des époux co-emprunteurs :

 

  le premier remboursable in fine le 31 octobre 2019 au taux de 2,15% l’an, stipulé variable en fonction de l’évolution du Libor 3 mois et ne pouvant varier de plus de deux points à la hausse ;

 

  le second remboursable en trois cents échéances au taux de 1,80%, stipulé variable en fonction de l’évolution du Libor 3 mois et cette variation étant encadrée pendant les vingt premières années d’amortissement du prêt par un plafond à 3,60 % ainsi qu’un plancher à 0,00 % l’an

 

Appelés en paiement, les époux contestent les taux d’intérêts appliqués par la banque et assignent la banque aux fins d’obtenir l’application du taux d’intérêt à sa valeur réelle, y compris et surtout, en cas d’index négatif.

 

La Cour d’appel de BESANCON, par arrêt en date du 10 juillet 2018 suivra le raisonnement des époux co-emprunteurs et condamne la banque à appliquer le taux réel y compris lorsque ce taux est négatif et conduisant de ce fait à des mensuellement négatifs.

 

La Cour de préciser :

 

« que tout en affirmant, s’agissant des deux contrats de prêts litigieux, que les parties se sont accordées pour que les intérêts soient à la charge de l’emprunteur et non du prêteur, l’arrêt retient que le respect de ces deux contrats impose que soit appliqué un taux d’intérêt suivant l’évolution du taux Libor 3 à sa valeur réelle pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs, à condition, toutefois, que sur l’ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 % ; qu’en se déterminant ainsi, par des motifs reconnaissant à l’emprunteur un droit à percevoir des intérêts de la part du prêteur, »

 

Les juges du fond entendent déroger aux principes édictés par le Code civil en ses articles 1902, 1905 et 1907.

 

La question qui se pose alors est de savoir si lorsque l’indice de référence devenait négatif, l’emprunteur pouvait exiger le versement d’intérêts de la part du prêteur, ou si ce dernier pouvait retenir une valeur d’indice égale à zéro, mais appliquer sa marge au motif que le prêt était stipulé onéreux.

 

La Cour de cassation rappellera le principe de l’opération de crédit avant de casser l’arrêt rendu par les juges du fond.

 

La Cour précise à cet effet que « constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l’emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n’ont pas entendu déroger aux règles du Code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d’une quelconque rémunération à l’emprunteur. »

 

De fait, « Pour dire que la banque devra appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs, l’arrêt retient que, les deux prêts étant stipulés à un taux d’intérêt initial, l’un de 2,15 % et l’autre de 1,80 % l’an, variables à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordées pour que ces intérêts soient à la charge de l’emprunteur et non du prêteur, et que la banque, en proposant des taux d’intérêt variables à la hausse comme à la baisse, et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à cette variation, mais que le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un tel taux d’intérêt à condition que, sur l’ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 %.

 

En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a admis l’éventualité d’intérêts mensuellement négatifs, alors qu’il résultait de ses constatations que les parties n’avaient pas entendu expressément déroger aux règles du Code civil, a violé les textes susvisés. »

 

La réponse est donc claire. Les intérêts conventionnellement prévus constituent la rémunération du prêteur qui ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d’une quelconque rémunération à l’emprunteur. `

 

Le caractère onéreux du contrat ne dépend pas en effet, de la faculté pour l’indice de référence, de varier à la baisse et, le cas échéant, d’aboutir pour une durée quelconque – voire la quasi-totalité de la durée du prêt en cas de variation proche de la date de début du prêt –, à une rémunération dérisoire en l’absence de plancher.

 

De plus, en cas de taux égal à zéro en raison de la valeur de l’indice, le prêteur peut conformément aux conditions généralement stipulées dans ce type de contrat, exiger le paiement de la marge contractuellement définie, qui s’ajoute taux d’intérêt

 

La constatation que durant un certain temps le taux d’intérêt soit négatif ne retire pas au prêt son caractère onéreux que les parties ont entendu lui conférer.

 

Le caractère onéreux du prêt résulte du principe de la stipulation du paiement au prêteur d’une rémunération, en l’espèce variable, donc sujette à décevoir les espoirs de l’emprunteur ou du prêteur, et non pas de l’absence de rémunération ou d’une rémunération symbolique, en raison de la mise en jeu d’une clause du contrat.

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