Conditions d’exercice du droit de rétention d’un bien détenu régulièrement par le créancier du crédit-preneur

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 17 févr. 2021, n° 19-11.132, n° 169 P

 

Le droit de rétention est une garantie redoutable, une hybridation entre une sûreté et une  voie d’exécution privée. La Cour de cassation définit le droit de rétention d’une chose comme un droit réel, opposable à tous, et même aux tiers non tenus à la dette[1]. Le crédit-bailleur  peut se voir ainsi valablement opposer un droit de rétention par le créancier du crédit-preneur, dès lors que ce créancier est amené à régulièrement détenir le bien objet du crédit-bail, et ce alors même qu’il ne doit aucune somme au rétenteur. Le crédit-bailleur qui veut néanmoins judiciairement obtenir la restitution du bien objet du contrat doit contester la régularité du droit de rétention lui-même, comme au cas présent.

 

I – L’espèce

 

Un acompte est versé sur le prix d’un contrat d’entreprise, mais le prestataire est placé rapidement en liquidation judiciaire. Le créancier exigeant le remboursement de cet acompte, il déclare cette créance auprès du liquidateur judiciaire du débiteur, pour voir finalement sa créance admise au passif. Le créancier exerce, par ailleurs, son droit de rétention sur une foreuse hydraulique qui a été apportée par son débiteur sur le lieu du chantier. Ce dernier est également crédit-preneur de ce matériel. Le crédit-bailleur assigne son cocontractant en restitution dudit matériel dont il demeure propriétaire.

 

La cour d’appel rejette cette demande en restitution, en jugeant que le créancier était bien fondé à exercer son droit de rétention sur la foreuse hydraulique appartenant au crédit-bailleur. En effet, selon les juges du fond, il existait bien un lien de connexité entre la créance et la détention du matériel litigieux, apporté sur le chantier par le débiteur pour exécuter le contrat d’entreprise avec son créancier.

 

II – Le pourvoi

 

Un pourvoi est formé par le crédit-bailleur. Il soutient qu’aucun lien de connexité matérielle ou juridique ne peut être établi entre la créance de remboursement d’un acompte d’une prestation de service non exécutée et le matériel retenu. La cour d’appel aurait ainsi violé l’article 2286 du Code civil.

 

Or, selon cette disposition, peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :

 

  Celui à qui la chose a été remise jusqu’au paiement de sa créance ;

 

  Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer ;

 

  Celui dont la créance impayée est née à occasion de la détention de la chose.

 

C’est ici la connexité juridique, subjective ou intellectuelle, visée au second alinéa de l’article 2286 du Code civil, qui se trouve en débat. En théorie, elle suppose que la détention présente un élément de rattachement avec une convention ou un quasi-contrat ayant donné naissance à la créance. Il suffit que la chose ait été remise par l’effet d’un rapport juridique pour qu’elle puisse constituer l’assiette d’un droit de rétention. Le droit de rétention permet alors de garantir le paiement d’une créance née de ce rapport juridique.

 

La Cour de cassation estime ici qu’une telle connexité se trouve bien caractérisée. Elle relève tout d’abord que la créance de remboursement de l’acompte versé est certaine, liquide et exigible. Ensuite, elle constate que le matériel a été placé sur le terrain du créancier par le débiteur en vue de la réalisation du chantier inexécuté, puis abandonné sur les lieux après la résiliation du contrat de prestation de service.

 

Enfin, elle en conclut que les juges de la cour d’appel ont bien établi que la créance dont se prévalait le rétenteur résultait du contrat de prestation de service, qui par ailleurs l’obligeait à restituer le matériel à son partenaire contractuel. Elle rejette donc le pourvoi et conforte ainsi la position du rétenteur dont la garantie continue de produire tous ses effets à l’encontre du crédit-bailleur.

 

Cette jurisprudence sera d’ailleurs certainement consacrée puisque l’article 2335 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés dévoilé par la Chancellerie le 18 décembre 2020, prévoit que « le gage de la chose d’autrui peut être annulé à la demande du créancier qui ignorait que la chose n’appartenait pas au constituant », les auteurs de cet avant-projet indiquant à cet égard que cette disposition « permet le maintien de la jurisprudence antérieure à la réforme de 2006, qui considérait que le créancier gagiste mis en possession de bonne foi pouvait invoquer l’article 2276 pour s’opposer à toute revendication du véritable propriétaire, y compris celui qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété ».

 

Ou l’incroyable efficacité du droit de rétention.

 

[1] Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, n° 90-14.545

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