Les parts sociales d’une société liquidée judiciairement, peuvent-elles faire l’objet d’une restitution en nature ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat
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SOURCE : Cour de cassation, Chambre commerciale,   21 Avril 2022, N°20.10.809

I – Conformément aux articles 1352 et suivants du Code civil, le mécanisme des restitutions permet, lorsqu’un contrat disparait, ou qu’un paiement indu est réalisé, d’être remis dans la situation dans laquelle les parties se seraient trouvées si le contrat ou l’indu n’avaient jamais existé.

Le Code civil entame ainsi son chapitre réservé aux restitutions par l’article 1352, modifié par l’ordonnance du 10 février 2016, et rédigé en ces termes  :

« La restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature, ou lorsque cela est possible, en valeur, estimée au jour de la restitution ».

Et la jurisprudence d’insister, bien avant la réforme du droit des obligations, en considérant que les restitutions résultant d’une résolution contractuelle sont un effet direct et nécessaire de l’anéantissement du contrat, la remise des choses dans le même état qu’avant la vente étant une conséquence légale de la résolution (Civ 3ème, 22 juillet 19982, N°90.18.667)

Mêlant droit civil, et droit des sociétés, cet arrêt permet d’illustrer ce mécanisme dans un contexte de procédure collective d’une SARL.

II – A l’origine de ce contentieux, un associé unique de SARL cède la totalité de ses parts sociales à une autre société, moyennant un prix convenu entre eux, qui était basé sur le bilan de l’année précédente.

Quelques temps après, la SARL est mise en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire.

Mécontente, la Société Cessionnaire soutient que les comptes présentés par le Cédantétaient insincères, et l’assigne notamment pour l’annulation de la cession pour dol.

Sauf qu’entre temps, la procédure collective se poursuit…

Les juridictions du fonds annulent la cession, à charge pour le vendeur de restituer le prix de la cession et l’acquéreur les titres de la société, et ainsi remettre les parties dans leurs situations antérieures.

Pour autant, le Cédant fait grief à ses juges de l’avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts, considérant que la privation du prix « n’était que la conséquence de l’annulation de la cession du fait des dissimilations auxquelles M. V s’est livré et ne pouvait donner lieu à indemnisation », et que, pour le reste, ses revendications n’étaient pas justifiées.

Il revendiquait entre autre :

  Qu’il avait été privé du prix de cession de ses parts,

  Que la SARL avait été « pillée » de ses actifs au profit de la Société Cessionnaire sans bourse délier.

Enfin, et c’est l’objet de cet article, le Cédant et le liquidateur de la SARL revendiquent conjointement, que :

« en cas d’annulation d’une cession de parts sociales, si la restitution desdites parts consécutive à cette nullité est impossible, le cédant est en droit d’obtenir la restitution de la valeur qu’elles avaient au jour de la cession litigieuse ; qu’en ordonnant la restitution de parts sociales de l’entreprise [V] à M. [V], alors que la société avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire de sorte que les parts sociales n’existaient plus, la cour d’appel a violé les articles 1844-8 du code civil, L. 237-2 du code de commerce et 1234 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ».

L’enjeu était d’ampleur en l’espèce.

Les demandeurs ne voulaient pas obtenir restitutions des parts en nature, mais bien restitution en valeur. En effet, ils voulaient obtenir versement de la valeur des parts au jour de la cession qui a finalement été annulée, et pas simplement restitutions en nature, c’est-à-dire une reprise  des parts sociales qui finalement, n’ont plus aucune valeur au jour de l’annulation de la cession, puisque la société était…déjà liquidée.

La question s’est donc posée aux juges du Quai de l’Horloge, de déterminer si la restitution des parts sociales était encore possible à ce stade, malgré la procédure de liquidation judiciaire d’ores et déjà en cours.

La question qui se pose en filigrane est celle de savoir si les parts sociales peuvent toujours être restituées en nature à leur ancien propriétaire à ce stade, ou s’il était « trop tard » du fait de la liquidation judiciaire, obligeant le cessionnaire a en restituer la valeur des celles-ci au jour de la cession.

Les juges suprêmes répondent en ces termes :

« 12. Il résulte de l’article 1844-7, 7°, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, ainsi que des articles 1844-8, alinéa 3, du même code et L. 237-2, alinéa 2, du code de commerce, que le jugement de liquidation judiciaire d’une société, s’il entraîne sa dissolution de plein droit, est sans effet sur sa personnalité morale, qui subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de la procédure, de sorte que, tant que cette publication n’est pas intervenue, les parts sociales composant son capital ont toujours une existence juridique et peuvent faire l’objet d’une restitution en nature.

13.  Le moyen, qui soutient que la restitution en nature n’est plus possible en raison de la seule liquidation judiciaire de la société Entreprise [V], sans prétendre que la procédure avait été clôturée par un jugement publié, n’est pas fondé ».

Ils considèrent de manière limpide, que la restitution en nature est possible tant que la publication de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire n’est pas intervenue.

En effet, le déroulement logique des juges est le suivant :  ils affirment que le jugement de liquidation judiciaire de la société, entraine certes dissolution de plein droit de celle-ci, mais est sans effet sur sa personnalité moral.

Ainsi, cette dernière subsiste pour les besoins de la liquidation, et ce jusqu’à publication de la clôture de la procédure.

Les parts sociales ont donc toujours une existence juridique, et peuvent donc être restituées en nature au cédant tant que la clôture de la procédure de liquidation n’a pas été publiée.

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