Refus de renouvellement du bailleur pour motif grave et légitime, interruption et point de départ du délai de prescription

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

SOURCE : Cass. civ. 3ème, 3 novembre 2021, n°20-20219, Inédit

 

I –

 

Dans les faits, un preneur à bail commercial a sollicité le renouvellement de ce dernier. Entre temps, un arrêt rendu le 17 février 2016 a jugé que le bailleur qui avait fait délivrer un congé avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction, ne justifiait pas d’un motif grave et légitime pour refuser le paiement d’une indemnité d’éviction. Le 21 avril 2016, le bailleur a assigné son locataire en déchéance de son droit à indemnité d’éviction. Reconventionnellement, le preneur sollicite le paiement d’une indemnité d’éviction.

 

II –

 

Outre la problématique du point de départ de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction, dont il n’aura pas échappé aux lecteurs habituels de CHRONOS qu’elle court à compter de la date de signification du refus de renouvellement du bailleur, en cas de congé sans offre de renouvellement[1] ou sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction (arrêt commenté), le principal apport de l’arrêt commenté réside dans l’interruption de la prescription en paiement d’une indemnité d’éviction.

 

En effet, toute l’originalité de l’arrêt commenté était de savoir si une décision rendue pouvait avoir pour effet de faire naitre au profit du preneur un nouveau délai de prescription de la demande en paiement d’une indemnité d’éviction.

 

Sur ce point, le preneur fait grief à l’arrêt de déclarer sa demande en fixation de l’indemnité d’éviction prescrite aux motifs que l’action en validation du refus de renouvellement du bail commercial sans indemnité d’éviction pour motif grave et légitime tendant à juger le preneur privée du droit à percevoir une indemnité d’éviction interrompait le délai de la prescription biennale de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction jusqu’à l’extinction de l’instance.

 

Pour le requérant, l’assignation par le bailleur en déchéance de son droit à l’indemnité d’éviction devait (i) interrompre le délai de prescription et (ii) faire naître un nouveau délai de prescription de la demande d’indemnité d’éviction.

 

III –  

 

Ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour d’appel qui a jugé que :

 

  Le refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction délivré par le bailleur le 1er juillet 2010 avait fait l’objet d’une instance en validation du refus à l’initiative du bailleur, introduite par assignation du 11 mars 2011, tendant à voir juger le locataire privé du droit à percevoir une indemnité d’éviction, instance dans le cadre de laquelle le locataire avait contesté ce refus de renouvellement sans indemnité d’éviction et sollicité une expertise judiciaire aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction par des conclusions du 7 novembre 2012 et que cette instance s’était achevée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 février 2016. Dans ces conditions, la demande du preneur tendant à voir fixer l’indemnité d’éviction formée le 7 novembre 2012 a été jugée prescrite

 

III –

 

Ce raisonnement n’a malheureusement pour le preneur pas été suivi par la Haute juridiction aux motifs :

 

  Que le point de départ du délai de la prescription biennale de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction est bien la date de la signification, par le bailleur de son refus de renouvellement sans offre d’une indemnité d’éviction, soit le 1er juillet 2020. Dans ces conditions, la demande en fixation d’une indemnité d’éviction formée le 7 novembre 2012 a été jugée irrecevable car prescrite ;

 

  L’arrêt rendu le 17 février 2016 par la Cour d’appel n’a pas eu pour effet de faire naître un nouveau délai de prescription de la demande en paiement d’une indemnité d’éviction.

 

Il est vrai que le preneur qui a reçu un congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime conserve le droit de demander le paiement d’une indemnité d’éviction tant qu’il n’a pas été statué sur la validité du congé[2], toutefois à la condition qu’il ait saisi le tribunal dans le délai de deux ans  à compter de la signification du refus de renouvellement[3]

 

Tout au plus, la saisine de la juridiction aux fins d’expertise en évaluation de l’indemnité d’éviction par le preneur le 7 novembre 2012 aurait eu pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action en paiement d’une indemnité d’éviction[4]. Dommage pour le preneur !

 

[1] Cf Article CHRONOS Alexandre Boulicaut – Refus de renouvellement du bailleur et point de départ du délai de prescription de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction

 

[2] Cass. civ. 3ème, 4 mars 2009, n°08-14557, FS – P + B

 

[3] Cour d’appel de Paris, 1ère ch., 2 juillet 1990

 

[4] Cass. Civ. 3ème, 1er février 2012, n°11-10482, FS – P + B

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