Soutien aux entreprises impactées par la crise sanitaire (2/2) : Prorogation du dispositif incitatif des abandons de loyers consentis par les bailleurs

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

SOURCES : Article 8 de la loi 2021-953 du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021, Article 3 de la loi 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, Article 20 de la loi 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021

 

A côté du crédit d’impôt bailleur, qui a fait l’objet d’un article CHRONOS et dont nous vous renvoyons, et dans le même objectif d’encourager les bailleurs à annuler une partie des loyers dus par certaines entreprises extrêmement fragilisées par les restrictions sanitaires, le Gouvernement a institué un autre dispositif visant à (i) exonérer d’impôt sur le revenu les abandons de loyers réalisés au profit d’une entreprise locataire entre le 15 avril et le 30 juin 2021, (ii) prévoir la déductibilité du résultat imposable des entreprises soumises à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés, ans justificatif, des abandons de loyers consentis à une entreprise entre le 15 avril 2020 et le 30 juin 2021.

 

Ces dispositifs résultent tout d’abord de la loi du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020[1], qui a été complétée par une loi du 29 décembre 2021 de finances pour 2021[2]. Ces lois ont posé les bases d’un véritable régime fiscal des abandons de loyers consentis dans le cadre de la crise sanitaire. Ce dispositif actuel vient d’ailleurs d’être prorogé jusqu’au 31 décembre 2021.

 

Afin de cerner les contours du traitement fiscal des abandons de loyers, il convient de distinguer la situation du bailleur, selon que celui-ci est imposable au titre des revenus fonciers (I), des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) (II), des Bénéfices Non Commerciaux (BNC) (III). Pour les entreprises locataires, l’abandon de loyers peut aussi faire l’objet d’un aménagement fiscal (IV).

 

 I. Bailleurs relevant des revenus fonciers

 

Relèvent de l’impôt sur le revenu pour les loyers perçus en cours de bail commercial :

 

  Les personnes physiques propriétaires de l’immeuble donné à bail ;

 

  Les personnes physiques associées d’une société relevant du régime fiscal des sociétés de personnes propriétaire de l’immeuble donné à bail (société en nom collectif, société en commandite simple, EURL n’ayant pas opté pour leur assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS), SARL de famille placée sous le régime fiscal des sociétés de personnes, société civile non soumise à l’IS ;

 

  De façon générale, les revenus des propriétés bâties qui ne sont pas inclus dans les bénéfices d’une entreprise industrielle, commerciale ou artisanale, d’une exploitation agricole ou d’une profession non commerciale (article 14 du Code général des impôts [CGI]).

 

Jusqu’à récemment, lorsque le bailleur renonçait à encaisser une partie des loyers, ces derniers restaient imposables dès lors que cet abandon était assimilé, par l’administration fiscale, à une « libéralité au bénéfice du preneur »,  alors que le bailleur invoquait « des difficultés de trésorerie du preneur sans en justifier »[3].

 

Depuis, la loi du 25 avril 2020 a créé au sein du Code général des impôts un article 14 B aux termes duquel :

 

« Ne constituent pas un revenu imposable du bailleur les éléments de revenus relevant du présent I [ Revenus fonciers ] ayant fait l’objet, par le bailleur, d’un abandon ou d’une renonciation au profit de l’entreprise locataire entre le 15 avril et le 31 décembre 2020 [ aujourd’hui jusqu’au 31 décembre 2021] dans les conditions et limites mentionnées au 9° du 1 de l’article 39. L’application du présent article ne fait pas obstacle à la déduction des charges correspondant aux éléments de revenus ayant fait l’objet d’un abandon ou d’une renonciation.

 

Lorsque l’entreprise locataire est exploitée par un ascendant, un descendant ou un membre du foyer fiscal du bailleur, le bénéfice des dispositions du présent article est subordonné à la condition que le bailleur puisse justifier par tous moyens des difficultés de trésorerie de l’entreprise ».

 

A la lecture de cet article, plusieurs observations peuvent être faites :

 

  Les bailleurs restent autorisés à déduire les charges financières correspondant aux éléments de revenus ayant fait l’objet d’un abandon ou d’une renonciation : charges de propriété et intérêts d’emprunt ;

 

  Le présent article renvoie au 9° du 1 de l’article 39 du CGI aux termes duquel les abandons de créances de loyer et accessoires (…) ne doivent pas avoir de lien de dépendance avec le bailleur (…). A ce titre, des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises :

 

  Lorsque l’une détient directement ou par une personne interposée la majorité du capital de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ;

 

  Lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre sous le contrôle d’une même tiers personne ;

 

  Lorsqu’un même groupe d’actionnaires majoritaires détient le pouvoir de décision dans deux entreprises distinctes l’une de l’autre, en raison de la communauté d’intérêts impliquée par cette situation qui crée un lien de dépendance entre les deux entreprises en cause[4]. L’article 14 B alinéa 2 précise néanmoins que cette mesure ne s’applique pas lorsque l’entreprise locataire est exploitée par un ascendant, un descendant ou un membre du foyer fiscal du bailleur, à la condition que ce dernier puisse justifier de difficultés de trésorerie de l’entreprise locataire.

 

  Il n’est plus nécessaire de justifier d’un intérêt pour le bailleur ;

 

  Ce dispositif institué pour les abandons de loyers a été prorogé une première fois pour les abandons consentis entre le 15 avril 2020 et le 30 juin 2021 [5] puis une seconde fois pour les abandons consentis jusqu’au 31 décembre 2021[6].

 

II.  Bailleurs relevant des BIC

 

S’agissant des personnes relevant de la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux, et suivant les dispositions de l’article 34 alinéa 1 du CGI :  « Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale ». A titre d’exemples non exhaustifs : un entrepreneur individuel exerçant en nom propre, l’associé unique d’une EURL, l’associé d’une société de personnes pour la part du bénéfice correspondant à ses droits dans les résultats de la société.

 

S’agissant des bénéfices imposables, relèvent notamment de cette catégorie :

 

  Les revenus tirés de la mise en location des immeubles inscrits à l’actif d’une entreprise industrielle, commerciale ou artisanale ;

 

  Les revenus tirés d’immeubles appartenant à l’exploitant, quoique non-inscrits à l’actif de l’entreprise, et affectés à l’activité professionnelle ;

 

  Les revenus accessoires aux revenus tirés de locations incluses dans des bénéfices professionnels.

 

En application de l’article 39-1-8° sont susceptibles d’être déduits en intégralité « les abandons de créances à caractère commercial consentis ou supportés dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement ainsi que ceux consentis en application d’un accord constaté ou homologué (…) ».

 

En dehors de cette hypothèse, un abandon de créance à caractère commercial  ne peut constituer une charge déductible pour l’entreprise qui le consent qu’à condition de constituer un acte de gestion normal[7].

 

Selon la jurisprudence administrative, l’acte anormal de gestion constitue une opération se traduisant par un écriture comptable affectant le bénéfice imposable que l’Administration fiscale entend écarter considérant qu’elle est étrangère ou contraire aux intérêts de l’entreprise.

 

La preuve de ce caractère normal de l’aide est rapporté lorsqu’il est établi qu’elle a été consentie dans l’intérêt de l’entreprise qui consent à l’aide, et qu’elle trouve son fondement dans l’existence d’une contrepartie réelle et suffisante[8].

 

En pratique, l’Administration fiscale se fonde sur un faisceau d’indices afin de déterminer le caractère normal ou anormal de l’abandon consenti : nature et montant de la créance abandonnée, relations qui existent ou ont existé entre les entreprises créancière et débitrice, motivations ayant conduit à abandonner la créance.

 

En principe, les abandons de créances à caractère autre que commercial ne sont pas déductibles, sauf si ceux-ci sont accordés dans l’intérêt de l’entreprise qui le consent, et si cette décision a été accordée en application d’un accord homologué ou constaté ou à une entreprise éligible à une procédure collective (article 39-13 du CGI).

 

Pour les bailleurs imposés aux BIC, il est expressément prévu que les abandons de loyer et accessoires afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise n’ayant pas de lien de dépendance avec le bailleur [cf I de l’article CHRONOS] consentis entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2021, sont déductibles dans leur intégralité, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un intérêt pour le bailleur (article 39-1-9°).

 

III. Bailleurs relevant des BNC

 

Suivant les dispositions de l’article 92 du CGI, sont considérés comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n’ont pas la qualité de commerçant et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus.

 

A l’instar des bailleurs relevant des BIC, les bailleurs relevant des BNC sont également éligibles à l’exonération prévue en cas d’abandons de loyers dans les mêmes conditions (absence de liens de dépendance, aucun intérêt à justifier).

 

IV.  Situation des entreprises locataires

 

Pour les entreprises locataires, l’abandon de loyers constituera un produit imposable qui viendra compenser la charge de loyer correspondante déduite du résultat.

 

S’agissant des entreprises soumise à l’IS, le troisième alinéa, I de l’article 209 du CGI prévoit qu’en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant, et donc déductible dans la limite d’un montant d’un million d’euros majoré de 50% du montant du bénéfice imposable dudit exercice excédant cette limite.

 

Par exception, pour les sociétés bénéficiant d’abandons de créances consentis en application d’un accord constaté ou homologué, ou d’une procédure collective, la limite d’un million d’euros est majoré du montant des abandons de créances qui lui ont été consentis au cours de l’exercice (alinéa 4, I, article 209 CGI).

 

Pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances mentionnés au 9° du 1 de l’article 39 du CGI, la limite d’un million d’euros est majorée du montant de ces abandons de créances. Si l’on s’en tient aux dispositions de l’article 8 de la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificatives pour 2021, cette mesure est réservée aux abandons consentis entre le 15 avril 2020 et le 31 décembre 2021.

 

[1] Loi 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020

 

[2] Loi 2020-1721 du 29 décembre 2021 de finances pour 2021

 

[3] Cour administrative d’appel de Paris, 10 février 1994, n°92PA01190 et Conseil d’Etat, 6 février 1995, n°157674

 

[4] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/11804-PGP.html/identifiant%3DBOI-IS-BASE-35-40-20-20200513 – §60

 

[5] Loi 2020-1721 du 29 décembre 2020

 

[6] Loi 2021-953 du 19 juillet 2021

 

[7] Conseil D’Etat, assemblée plénière, 27 juillet 1984

 

[8] Conseil d’Etat, n°277522, SA CLEMENT

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