Plus-value d’apport de titres en report : l’imposition immédiate de la soulte inférieure à 10 % en cas d’abus de droit fiscal

Coralie MOREAU
Coralie MOREAU - Avocat

Source : Arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 15 juillet 2021 n° 19LY01413

 

Depuis le 14 novembre 2012, l’imposition de la plus-value résultant de l’apport de titres réalisé à une société soumise à l’impôt sur les sociétés est reportée sous réserve de respecter les conditions suivantes [1]:

 

  L’apport doit être effectué à une société de capitaux ou assimilée soumise à l’impôt sur les sociétés et établie en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ;

 

  La société bénéficiaire de l’apport est contrôlée par le contribuable à la date de l’apport ;

 

  En cas d’échange avec soulte, celle-ci ne doit pas excéder 10 % de la valeur nominale des titres reçus à l’échange.

 

Si ces conditions sont satisfaites, la plus-value sera ainsi placée en report d’imposition. De ce fait, la plus-value sera calculée et déclarée au moment de l’échange de titres mais l’imposition sera différée lorsqu’un évènement ultérieur se produira (ex : cession à titres onéreux ou rachat des titres reçus en rémunération de l’apport, annulation des titres reçus en rémunération de l’apport ; transfert du domicile fiscal hors de France, etc.).

 

Toutefois, dès lors qu’en cas d’échange avec soulte supérieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, l’ensemble de plus-value réalisée à l’occasion de cette opération d’apport est imposable, sans possibilité de report.

 

Par ailleurs, même si en cas d’échange avec soulte inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, la plus-value est en principe placée en report (sous réserve des autres conditions exposées ci-dessus), l’administration fiscale peut toujours imposer cette soulte en ayant recours à la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales.

 

En l’espèce, des contribuables ont constitué une société holding par apports de titres d’une société dans laquelle ils détenaient des titres.

 

De ce fait, ils ont chacun reçu, en échange, des titres de la nouvelle société holding et des soultes s’élevant à 9,05 % et 9,73 % de la valeur nominale des titres reçus. La plus-value réalisée à l’occasion de cet apport ainsi que les soultes ont été placées en report d’imposition.

 

Lors d’un contrôle, l’administration fiscale a remis en cause le report d’imposition des soultes et a appliqué une majoration de 80 % pour abus de droit.

 

Le tribunal administratif de Lyon rejette la demande de décharge des impositions, en droits et pénalités, des contribuables.

 

La Cour administrative d’appel rappelle qu’en créant le mécanisme de report d’imposition, le législateur a souhaité favoriser l’échange de titres aux seules opérations dégageant de faibles liquidités.

 

La Cour a jugé que l’administration fiscale pouvait remettre en cause le report d’imposition, bien que les soultes soient inférieures à 10 % de la valeur nominale des titres reçus,  dès lors que l’opération a été faite « dans le seul but de percevoir ces sommes en franchise d’imposition » et qu’ « il s’avère que le versement de soultes ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport et est motivé par la seule volonté de l’apporteur d’échapper en tout ou partie à l’impôt ».

 

Pour la Cour, l’administration fiscale a apporté des éléments suffisamment précis justifiant l’appréhension de liquidités en franchise d’impôt : l’existence de soultes très légèrement inférieures à 10 % de la valeur nominale des titres, leur inscription en comptes courants d’associés et l’apurement des créances à bref délai.

 

Dès lors que les contribuables n’ont pas apporté un motif autre que celui évoqué par l’administration fiscale, à savoir l’atténuation des charges fiscales du foyer, la Cour a jugé que l’administration fiscale pouvait établir l’abus de droit.

 

Ainsi, bien que les soultes soient inférieures à 10 % de la valeur nominales des titres, l’administration fiscale peut remettre en cause le bénéfice du régime de report d’imposition sur la base de l’abus de droit fiscal notamment si l’opération ne présente aucun intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport.

 

[1] CGI, art. 150-0 B ter

Print Friendly, PDF & Email
Partager cet article