Obligation de délivrance du bailleur et accessoires du local loué

Equipe VIVALDI
Equipe VIVALDI

SOURCE : Cass. civ 3ème , 30 juin 2021, n°17-26.348 – Inédit

 

Il n’en reste pas moins que ce type de clauses demeure soumis à l’interprétation restrictive du juge, surtout lorsque celles-ci privent de leur substance l’une des obligations essentielles du bailleur. Nous en avons un parfait exemple avec l’arrêt rendu par le troisième chambre civile le 30 juin 2021.

 

I-

 

Dans les faits, deux société bailleresses et une société preneuse concluent un bail commercial portant sur trois parcelles, étant précisé qu’un passage goudronné sur la parcelle voisine, propriété d’un tiers, permettait d’accéder aux locaux loués.

 

A la suite de la vente de la parcelle voisine, le nouveau propriétaire la clôture, obstruant ainsi le passage. Le locataire assigne alors son bailleur en résiliation du bail à ses torts exclusifs et en condamnation à lui payer diverses indemnités.

 

Il résulte du bail que celui-ci « ne prévoyait ni droit de passage sur la parcelle voisine, ni l’accès par un chemin goudronné (…) » car la parcelle louée longeait la voie publique. Le même bail prévoyait également que « le locataire renonce à tous recours en responsabilité ou réclamation contre le bailleur en cas d’agissements générateurs de dommages des autres occupants de l’immeuble, de leur personnel, fournisseurs et clients, de tous tiers en général, le locataire renonçant notamment à tous recours contre le bailleur sur le fondement du troisième alinéa de l’article 1719 du code civil ».

 

Alors que l’article 1719 du code civil prévoit que :

 

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

 

1° De délivrer au preneur la chose louée (…) ;

 

2° (…) ;

 

3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;

 

4° (…) ».

 

Pour le bailleur, le preneur a expressément renoncé à se prévaloir du troisième alinéa de l’article 1719 du code civil, mais en plus, le défaut d’accès aux locaux loués ne résulte pas de son fait, mais du fait du nouveau propriétaire qui a obstrué le passage, ce qui constituait un acte préjudiciable à la jouissance paisible de celui-ci, du fait de ce tiers.

 

Toute la problématique de l’arrêt consiste à savoir si la stipulation de clauses limitatives ou exonératoires peut faire échec à l’obligation de délivrance du bailleur ?

 

II –

 

Dans l’arrêt commenté, le bailleur souhaite s’exonérer de son obligation de remettre à son cocontractant l’un des accessoires objet du bail, à savoir un droit de passage. Il est vrai que le locataire est en droit de s’attendre que toute personne (personnel, clientèle) puisse accéder aux locaux dans des conditions convenables, lui assurant ainsi une exploitation normale du bien faisant l’objet du bail commercial.

 

Par le passé, la troisième chambre civile avait déjà jugé que le bailleur était tenu de remettre au locataire non seulement le local en principal, objet du bail, mais aussi ses accessoires, lesquels comprennent par exemple les caves ou greniers ou le droit de passage dans une cour[1].

 

Méthodique, la troisième civile rappelle tout d’abord qu’ « il incombe au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination tout au long de l’exécution du contrat ». Sur ce point, il est constant que l’obligation de délivrance est inhérente au contrat de bail, qu’aucune stipulation particulière n’est nécessaire dans le bail pour que le bailleur y soit obligatoirement tenu, et qu’aucune clause contractuelle ne peut en exonérer le bailleur[2]. Cette obligation de délivrance s’applique tout au long du bail[3].

 

Cette obligation de délivrance se matérialise notamment par l’obligation faite au bailleur de mettre à disposition de la société locataire un autre accès permettant l’exploitation normale du bien donné à bail. Il aurait été envisageable, par exemple, pour le bailleur de rechercher avec le propriétaire du fonds voisin d’obtenir une servitude conventionnelle ou tout autre moyen afin de créer un accès commode, viable et pérenne. C’est d’autant plus vrai que l’accès aux locaux était en l’état « impraticable, voire dangereux tant à pied qu’en voiture ».

 

La Haute Cour juge également que les clauses du contrat qui stipulent que le preneur prendra les lieux en l’état et qu’il renoncera à tout recours contre le bailleur du fait des dommages causés par des tiers ne déchargent nullement le bailleur de son obligation de délivrance. D’ailleurs, une Cour d’appel a jugé que « le fait d’un tiers ne peut exonérer le bailleur de son obligation de délivrance qui est une obligation de résultat  et impose à ce dernier de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’entrée et le maintien en jouissance du preneur. Il appartient au bailleur, averti de la situation, de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les mesures efficaces pour assurer l’exécution de son obligation »[4].

 

Cette solution nous paraît fondée puisque l’obstruction de l’accès a été opérée postérieurement à la prise d’effet du bail, alors que le preneur a accepté les locaux dans l’état dans lesquels ils se trouvaient, à savoir avec un accès commode, viable et pérenne. Il incombe alors au bailleur de prévoir un accès constant, afin de permettre l’exploitation normale du bien donné à bail.

 

[1] Cass. civ 3ème, 04/11/1992, n°90-22.020

 

[2] Cass. civ 3ème, 31/10/2012 n°11-12.970

 

[3] Cass. civ 3ème, 10/09/2020 n°18-21.890

 

[4] CA de Grenoble, 26/03/2013, n°11/01545, 2ème chambre

 

Vivaldi Avocats

 

Alexandre Boulicaut

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