QUITUS AU GERANT : Quid de la valeur libératoire du quitus des associés sur sa responsabilité ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Source : Cour de Cassation, Chambre commerciale, 27 mai 2021 (N°19-16.716)

C’est à jurisprudence constante que la Cour de cassation considère que le gérant ne peut revendiquer, par le quitus annuel accordé par les associés, la « ratification » des actes litigieux, et donc son exonération de responsabilité pour les fautes commises pendant son mandat.  

1- Le Quitus

Le Dictionnaire Larousse définit le quitus comme « l’acte par lequel le dirigeant d’une société, et plus généralement le responsable de la gestion d’un patrimoine ou d’une opération déterminée, est reconnu s’être acquitté de sa charge ».

En effet, chaque année l’Assemblée Générale Ordinaire d’Approbation annuelle des Comptes sociaux (ci-après appelée « AGOA ») soumet au vote des associés une résolution qui peut être rédigée en ces termes :

« L’Assemblée Générale approuve les comptes annuels de l’exercice clos le 31 décembre 2020, lesquels font apparaître un bénéfice/une perte de XXX euros, ainsi que les opérations traduites dans ces comptes. En conséquence, elle donne à la gérance quitus de sa gestion pour l’exercice clos le 31 décembre 2020 ».

Issu d’une tradition plus que d’une obligation légale, le quitus permet aux associés de se prononcer sur la gestion du gérant, néanmoins ni le Code civil ni le Code de commerce ne lui reconnaissent un effet libératoire de sa responsabilité.

2- La responsabilité du gérant

En vertu de l’article 1843-5 du Code Civil, les associés eux-mêmes peuvent diligenter une action (ci-après l’action « Ut Singuli »), au nom de la société, pour engager la responsabilité du gérant, et obtenir réparation du préjudice subi directement par la société. Cette dernière percevra les dommages et intérêts qui pourront être mis à la charge du gérant ou ex-gérant condamné.

Quel est impact du quitus sur la responsabilité du gérant ou ex-gérant ?

3- Les faits du cas d’espèce

La Cour d’Appel de BASTIA, a par un arrêt du 30 Janvier 2019, condamné un gérant de SCI au paiement de 120.000 euros de dommages et intérêts pour les fautes de gestion commises pendant son mandat. Ce dernier se pourvoi en cassation au motif que les associés lui avaient donné quitus de sa gestion.

Il était en l’espèce question de vente de biens immobiliers par lot, pour lesquels les associés avaient connaissance de l’acte de vente et des circonstances l’y entourant, notamment la grille tarifaire et le prix de vente de ces lots. Deux lots exactement similaires s’agissant de la nature de la construction, de sa surface et de sa jouissance exclusive du jardin ont été vendu avec une différence de prix de 120.000€, préjudice financier reproché par les associés à l’ancien gérant.

Tentant d’établir que l’adhésion des associés avait un effet libératoire eu égard à sa responsabilité, il fait grief à la Cour Corse de l’avoir condamné alors que « ne constitue pas une faute l’acte du gérant dont l’assemblée lui a donné quitus en pleine connaissance de cet acte et des circonstances l’entourant ».

L’ancien gérant se référait en partie à l’article 1998 du Code civil qui prévoit que le mandant est tenu de ce qui a pu être fait au-delà des pouvoirs conférés au mandataire, seulement s’il l’a ratifié expressément ou tacitement. Ainsi, il considérait que la Cour avait privé sa décision de base légale en ne recherchant pas si l’assemblée des associés connaissait parfaitement les modalités de l’acte litigieux.

Toutefois, le droit prétorien permet aux juges du fond d’apprécier souverainement les circonstances manifestant la ratification par le mandant des actes passés par le mandataire (Civ, 3ème, 2 Mai 1978).

4 – Droit applicable

Auparavant, la Cour considérait, dans une société civile, que le quitus donné au gérant ne faisait pas obstacle à l’action individuelle que les associés détenaient contre ce dernier pour obtenir réparation d’un préjudice qui leur était personnel (Civ, 3ème, 4 novembre 1976, n°75-11.366), sans toutefois inclure l’action Ut Singuli.

Dorénavant, et depuis la loi du 5 Janvier 1988 relative au développement et à la transmission des entreprises, le dernier alinéa de l’article 1843-5 du Code Civil prévoit expressément :

qu’ « aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat ».

Les articles L223-22 et L225-253 du Code de Commerce rappellent quant à eux, l’interdiction de renoncer à l’action sociale par le biais d’une décision d’assemblée générale pour les SARL ou pour les sociétés par actions (SA ou SAS).

Ainsi, la Cour de cassation considère, à jurisprudence constante, que le quitus n’a plus d’effet libératoire de la responsabilité du gérant, et ce même pour l’action Ut Singuli.

C’est dans ce prolongement que, dans son arrêt du 27 mai 2021, la Haute Cour a confirmé une nouvelle fois sa position. Pour rejeter le pourvoi les juges ont considéré que la Cour d’Appel en avait exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche qu’elle qualifie « d’inopérante » relative à l’information des associés, que le quitus ne pouvait avoir d’effet libératoire au profit du gérant, pour les fautes commises durant son mandat.

En conclusion, l’argument par lequel un gérant mis en cause pour les fautes commises pendant son mandat revendique le quitus des associés, donné « en pleine connaissance » des actes reprochés au titre de sa gestion, ne saurait plus prospérer.

ELEONORE CATOIRE

VIVALDI AVOCATS

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