Clôture sans préavis du compte ouvert via le « droit au compte » : illustration

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 1er juillet 2021, n° 19-14.313, FS-B

 

I – Le texte en question

 

Le banquier peut par principe choisir son cocontractant. Cependant, l’ouverture d’un compte de dépôt est un droit, depuis la loi n° 84-46, du 24 janvier 1984, relative au contrôle et à l’activité des établissements de crédit.

 

Cas ce cadre, l’article L. 312-1-IV-1° du Code monétaire et financier prévoit que l’établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis de deux mois. Il en va ainsi lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, le client a fourni des informations inexactes, le client ne répond plus aux conditions de domicile ou de résident, etc..

 

II – L’espèce

 

Une société K., spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l’industrie pétrochimique, ayant pour partenaire commercial la société iranienne T., a saisi la Banque de France au titre du droit à l’ouverture de compte prévu par l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier à la suite du refus de la banque A. d’entrer en relation avec elle. Cette dernière, finalement désignée par la Banque de France, lui a ouvert un compte de dépôt le 15 mai 2017.

 

Par lettre recommandée du 14 février 2018, la banque a notifié à la société K. sa décision de clôturer son compte, sans préavis, en indiquant que le motif de la rupture était un « fonctionnement atypique de votre compte (article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier) ».

 

Une ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant dit que la clôture du compte de la société K. constituait un trouble manifestement illicite et ordonné le maintien du compte, la banque a assigné la société K. afin de voir constater la validité de la résiliation du compte.

 

La cour d’appel de Grenoble a considéré, par une décision du 6 décembre 2018, que la banque n’avait pas régulièrement notifié, ni dans la forme, ni au fond, la résiliation du compte de dépôt ouvert dans ses livres au nom de la société K. dans le cadre du droit au compte défini à l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier.

 

III – Le pourvoi.

 

La banque a formé un pourvoi en cassation. Elle arguait notamment que « constitue une utilisation du compte le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte. Or, en l’occurrence, la société [K.] avait transmis son relevé d’identité bancaire à sa contrepartie iranienne, laquelle l’avait communiqué aux intermédiaires composant le circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ». Dès lors, « en retenant qu’il n’y aurait eu là qu’une tentative d’utilisation illicite du compte, cependant qu’il s’agissait d’une tentative consommée, assimilable à tout le moins à un commencement d’utilisation illicite, de nature à faire naître un soupçon, la cour d’appel [aurait] violé les articles L. 312-1, IV et L. 561-8 du Code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause, lus à la lumière des articles 19 de la Directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 et de la Directive n° 2015/849 du 20 mai 2015 ».

 

La Haute juridiction casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt critiqué, en précisant que  « constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte ».

 

Or, pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu’en communiquant son relevé d’identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une société chinoise, la société K. avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu’elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble avait considéré  que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constituait l’opération atypique invoquée par la banque, n’était parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu’il ne pouvait être soutenu qu’à la date de cette décision, la société K. avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.

 

Dès lors, en se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l’état des circonstances invoquées par la banque, l’utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

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