Déclaration Notariée d’Insaisissabilité (DNI) publiée postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde : inopposabilité au liquidateur.

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-21.971, P

 

I – Bref rappel des termes du débat

 

Dès sa mise en place en 2003, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) suscitait des interrogations sur son efficacité en cas de procédure collective de l’entrepreneur individuel. Se posait plus précisément la question de l’opposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire du déclarant. La Cour de cassation  s’était d’abord fondée implicitement sur l’étendue de l’effet réel de la procédure pour affirmer l’efficacité de principe de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble hors procédure[1], pour ensuite se situer sur le terrain de la qualité à agir du mandataire judiciaire, pour dénier au liquidateur le droit d’agir en inopposabilité dès lors qu’il ne peut légalement le faire que pour la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et non d’un groupe de créanciers, sachant qu’en application de l’article L.526-1 du Code de commerce, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité[2].

 

Cette lecture processuelle s’était donc tout logiquement étendue à l’action paulienne[3], ou encore à la licitation partage de l’immeuble indivis déclaré insaisissable[4]. Seule était permise l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur l’immeuble[5], ou encore la contestation de la régularité de la DNI, à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers[6]. Le corolaire à tout cela est que le créancier  auquel la DNI n’est pas opposable peut poursuivre la saisie de l’immeuble soustrait aux règles de la liquidation judiciaire[7].

 

De même, lorsqu’un bien commun a été déclaré insaisissable par un époux avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, le juge du divorce peut en ordonner le partage et la vente à la demande de l’autre époux, mais pas à la demande du liquidateur judiciaire[8].

 

Le principe était donc posé : le liquidateur ne peut agir que s’il représente tous les créanciers, et pas seulement certains d’entre eux, à qui notamment la déclaration serait inopposable. Cependant le passif est généralement composé à la fois de créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels) et de créanciers auxquels elle est opposable (créanciers professionnels postérieurs à la déclaration), ce qui prive donc le liquidateur de la faculté d’agir en inopposabilité et/ou aux fins de vente de l’immeuble, puisqu’il n’agit pas dans l’intérêt de tous les créanciers. Pour que le liquidateur puisse agir ainsi, le passif devrait être exclusivement composé de créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels), ce qui n’est jamais le cas en pratique.

 

II – L’espèce

 

Une personne physique qui bénéficie d’une procédure de sauvegarde, pour laquelle un administrateur a été désigné, dépose postérieurement à son ouverture une déclaration notariée d’insaisissabilité de deux immeubles non affectés à l’exploitation.

 

La procédure de sauvegarde est convertie postérieurement en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire et le liquidateur, se voyant opposer la déclaration d’insaisissabilité lors de la réalisation des actifs, assigne le débiteur en inopposabilité de celle-ci.

 

La cour d’appel accueille favorablement la défense du débiteur et déclare la déclaration opposable au liquidateur au motif que la désignation d’un administrateur ne lui a pas ôté le pouvoir d’exercer sur son patrimoine les actes de disposition et d’administration. Au surplus, selon les juges d’appel, la déclaration d’insaisissabilité n’étant pas un acte de disposition, elle ne fait pas partie des actes énumérés par l’article L. 622-7, II du Code de commerce qui nécessitent l’accord du juge-commissaire.

 

III – Le pourvoi

 

La Cour de cassation rejette ces arguments, casse et annule sans renvoi l’arrêt rendu par la cour d’appel pour les motifs indiqués ci-dessus, au regard de la chronologie de l’affaire. En conséquence, elle déclare inopposable au liquidateur la déclaration notariée d’insaisissabilité faite par le débiteur.

 

[1] Cass. com. 28 juin 2011, n°10-15.482, FS-P+B+R+I

 

[2] Cass. com. 13 mars 2012, n°11-15.438, FS-P+B

 

[3] Cass. com., 23 avril 2013, n°12-16.035, FS-P+B ; Décision anéantie depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et pour les procédures collectives ouvertes postérieurement au 1er juillet 2014 : la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale ou d’autres immeubles est désormais expressément mentionnée au rang des actes susceptibles d’être annulés (nullité de plein droit postérieurement à la date de cessation des paiements, nullité « facultative » dans les 6 mois qui précèdent selon l’article L.632-1 du Code de commerce)

 

[4] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D

 

[5] Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B

 

[6] Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-26.287, FS-P+B+I

 

[7] Cass. com. 5 avril 2016, n°14-24.640, FS-P+B

 

[8] Cass. com. 10 juillet 2019, n° 18-16.867, F-PB

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