COVID 19 et le paiement du loyer du bail commercial

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCES : LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, JORF n°0072 du 24 mars 2020, Arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19,
Ordonnance n° 2020-316 et Ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020

 

Evoquée le 16 mars 2020 au cours de l’allocution présidentielle relative à la propagation du Covid-19 et à la fermeture au public corrélative d’un grand nombre de commerce, la suspension du paiement des loyers est l’une des mesures que le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, aux termes de l’article 11 de la Loi du 23 mars 2020, ainsi rédigé :

 

« I. – (…) le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020 (…)

 

1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d’activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l’emploi, en prenant toute mesure :

 

(…)

 

g) Permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux et de renoncer aux pénalités financières et aux suspensions, interruptions ou réductions de fournitures susceptibles d’être appliquées en cas de non-paiement de ces factures, au bénéfice des microentreprises, au sens du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d’appartenance d’une entreprise pour les besoins de l’analyse statistique et économique, dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie ;»

 

I – Les entreprises bénéficiaires des mesures gouvernementales au titre de la loi du 23 mars 2020 et des ordonnances du 25 mars 2020

 

Le périmètre de l’habilitation gouvernementale concerne les entreprises qui :

 

  Louent des locaux à usage professionnel ou commercial.

 

  « occupent moins de 10 personnes » (Article 3 Décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008)

 

  Réalisent « un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros » (Article 3 Décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008)

 

  « Sont affectées par la propagation de l’épidémie »

 

Les trois premiers critères ne semblent a priori pas poser de difficulté particulière, tout au moins d’interprétation (la constitutionnalité de la mesure au regard du principe d’égalité des entreprises n’étant pas abordée au présent commentaire). S’agissant du bénéficiaire de la mesure au regard de l’impact du Covid-19 sur l’activité, il faut se reporter aux ordonnances du 25 mars 2020 : Ce sont, selon l’article 1er de l’ordonnance 2020-316, les entreprises remplissant deux critères, apparemment cumulatifs :

 

Celles pouvant prétendre au “fond de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation” créé par l’ordonnance 2020-317, ainsi que les entreprises poursuivannt leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.

 

ET (cumulatif):

 

qui atteignent un certain “seuil, qui sera défini par décret, de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la crise sanitaire”

 

L’ordonnance ajoute également des seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des bénéficiaires qui, vraisemblablement, renverront aux critères de la microentreprise pour respecter l’habilitation gouvernementale :

 

La mesure s’adresse ainsi nécessairement à toutes les microentrepises fermées par l’arrêté du 14 mars 2020, dont l’article 1 dispose :

 

« I.-Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l’article GN1 de l’arrêté du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 :

 

-au titre de la catégorie L : Salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple sauf pour les salles d’audience des juridictions ;

 

-au titre de la catégorie M : Magasins de vente et Centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ;

 

-au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “ room service ” des restaurants et bars d’hôtels et la restauration collective sous contrat ;

 

-au titre de la catégorie P : Salles de danse et salles de jeux ;

 

-au titre de la catégorie S : Bibliothèques, centres de documentation ;

 

-au titre de la catégorie T : Salles d’expositions ;

 

-au titre de la catégorie X : Etablissements sportifs couverts ;

 

-au titre de la catégorie Y : Musées ;

 

-au titre de la catégorie CTS : Chapiteaux, tentes et structures ;

 

-au titre de la catégorie PA : Etablissements de plein air ;

 

-au titre de la catégorie R : Etablissements d’éveil, d’enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, sauf ceux relevant des articles 4 et 5.

 

II.-Les établissements relevant du I peuvent toutefois continuer à recevoir du public pour les activités figurant en annexe du présent arrêté.

 

III.-Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion de plus de 20 personnes en leur sein est interdit jusqu’au 15 avril 2020, à l’exception des cérémonies funéraires.

 

IV.-Les établissements mentionnés aux articles L. 322-1 et L. 322-2 du code du sport sont fermés jusqu’au 15 avril 2020. 

 

ANNEXE À L’ARTICLE 1ER DE L’ARRÊTÉ DU 14 MARS 2020 PORTANT DIVERSES MESURES RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LA PROPAGATION DU VIRUS COVID-19

 

Les activités mentionnées au II de l’article 1er sont les suivantes :

 

Entretien et réparation de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles

 

Commerce d’équipements automobiles

 

Commerce et réparation de motocycles et cycles

 

Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles

 

Commerce de détail de produits surgelés

 

Commerce d’alimentation générale

 

Supérettes

 

Supermarchés

 

Magasins multi-commerces

 

Hypermarchés

 

Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de poissons, crustacés et mollusques en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de boissons en magasin spécialisé

 

Autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé

 

Les distributions alimentaires assurées par des associations caritatives

 

Commerce de détail de carburants en magasin spécialisé

 

Commerce de détail d’équipements de l’information et de la communication en magasin spécialisé

 

Commerce de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé

 

Commerce de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé

 

Commerce de détail d’articles médicaux et orthopédiques en magasin spécialisé

 

Commerces de détail d’optique

 

Commerce de détail d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnie

 

Commerce de détail alimentaire sur éventaires et marchés

 

Commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé

 

Vente par automates et autres commerces de détail hors magasin, éventaires ou marchés n. c. a.

 

Hôtels et hébergement similaire

 

Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée lorsqu’il constitue pour les personnes qui y vivent un domicile régulier

 

Terrains de camping et parcs pour caravanes ou véhicules de loisirs lorsqu’ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier

 

Location et location-bail de véhicules automobiles

 

Location et location-bail d’autres machines, équipements et biens

 

Location et location-bail de machines et équipements agricoles

 

Location et location-bail de machines et équipements pour la construction

 

Activités des agences de placement de main-d’œuvre

 

Activités des agences de travail temporaire

 

Réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques

 

Réparation d’ordinateurs et d’équipements de communication

 

Réparation d’ordinateurs et d’équipements périphériques

 

Réparation d’équipements de communication

 

Blanchisserie-teinturerie

 

Blanchisserie-teinturerie de gros

 

Blanchisserie-teinturerie de détail

 

Services funéraires

 

Activités financières et d’assurance »

 

Pour les autres entreprises qui ont pu, tant bien que mal, poursuivre leur exploitation en subissant une baisse conséquente de chiffre d’affaires (les boulangeries notamment), l’ordonnance sera particulièrement attendue sur les seuils d’éligibilité.

 

II – Un report ou un étalement du paiement des loyers… mais qui resterons dus

 

Les ordonnances n’apportent cependant pas de « solution miracle » pour les micro-entreprises, la loi n’autorisant le Gouvernement qu’à définir les conditions d’un report ou étalement du paiement des loyers, ce que l’ordonnance 2020-316 fait en créant un système d’impunité concernant les défaillances pécuniaires de ces entreprises, bien que sur certains aspects, cette impunité semble excéder l’habilitation :

 

Les personnes mentionnées à l’article 1er ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L. 622-14 et L. 641-12 du code de commerce.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux loyers et charges locatives dont l’échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.

 

Les carences locatives pourront ainsi concerner les charges, et non seulement les loyers.

 

Au delà de cette difficulté, rappelons que la mesure n’aura pas pour effet de supprimer l’obligation du preneur à bail de payer son loyer, le délai de mois après cessation de l’état d’urgence expiré.

 

Dans l’attente du décret à intervenir, et pour toutes les entreprises qui ne seraient pas bénéficiaires de l’ordonnance, il est ainsi conseillé, sans attendre, de prendre attache avec le bailleur de manière à convenir amiablement d’un report ou étalement du paiement des loyers, qu’acceptent déjà de satisfaire la plupart des propriétaires de Centres commerciaux (Unibail-Rodamco-Westfied, Klépierre, Ceetrus-immochan)[1], voire peut être pour les bailleurs les plus solidaires, une annulation du loyer de la période de crise sanitaire?.

 

[1] Article LES ECHOS du 18 mars 2020 – La crise Covid-19 dresse les commerçants contre les centres commerciaux

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