Plafonnement du déplafonnement, constitutionnalité ? Acte II

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCES : 3ème civ, 6 février 2020, n°19-19503 QPC

 

Article L145-34 al 4 du Code de commerce

 

I – Le texte litigieux

 

I – 1.

 

Jusqu’à la réforme PINEL un preneur, dès lors que les conditions autorisant le déplafonnement étaient réunies, subissait une fixation du loyer à la valeur locative qui pouvait entrainer une augmentation significative du loyer. Dans les zones à forte tension immobilière, il n’était pas rare de constater une multiplication des loyers par deux, voire par cinq.

 

Dans le meilleur des cas c’était le modèle économique du preneur qui était altéré. Dans le pire des cas, compte tenu de l’effet rétroactif du déplafonnement, la procédure collective et la fin du bail avec une restitution des clés au bailleur et donc la perte du fonds de commerce, n’étaient pas rares.

 

A raison, rétorquaient les bailleurs, qui précisaient que même en l’absence de modification significative des caractéristiques du bail ou des facteurs locaux de commercialité, etc., le preneur avait toujours au terme de chaque renouvellement la possibilité de solliciter la fixation du loyer à la valeur locative et donc à la baisse dès lors qu’il constatait que ladite valeur locative était inférieure au loyer contractuel (article L145-33 du Code de commerce).

 

Ainsi donc pour les bailleurs, le déplafonnement brutal du loyer était-il la contrepartie à un lissage à la baisse à l’initiative du preneur possible à chaque renouvellement

 

Pour éviter le choc du déplafonnement, le dispositif PINEL introduit sous l’article L145-34 al 4 du Code de commerce un dispositif de lissage ainsi rédigé :

 

« En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »

 

L’idée est louable en ce qu’elle tant à amortir le choc du déplafonnement, mais le texte souffre du mal du siècle tant sa rédaction est sujette à de multiples interprétations.

 

Certains auteurs avaient même identifié six méthodes différentes de calcul[1].

 

Ainsi, après le débat sur le prix du bail renouvelé naissait celui du calcul du lissage du déplafonnement qui peut prendre autant de temps que la détermination de la valeur locative.

 

I – 2.

 

Pire encore, la Cour d’appel de Paris dans une décision dont la singularité mérite d’être soulignée a-t-elle jugé que la loi PINEL constituait en elle-même les caractéristiques d’une modification des obligations des parties créant ainsi à chaque renouvellement un risque de déplafonnement du loyer[2].

 

A lire cette décision critiquée par l’équipe Chronos, le législateur serait parvenu par sa loi destinée à rééquilibrer au profit du preneur les rapports des parties au bail commercial, à instaurer un nouveau cas de déplafonnement au profit ou au détriment des baux souscrits sous l’empire de l’ancienne loi et renouvelé sous celui de la nouvelle. Bref, un résultat inverse à celui recherché.

 

I – 3.

 

La Cour d’appel de Paris, après avoir retenu que le dispositif PINEL modifiait les obligations des parties avait toutefois rejeté la demande de déplafonnement au motif que ces modifications n’étaient pas notables au regard du bail examiné.

 

Il faut comprendre que dans d’autres circonstances, c’est-à-dire avec d’autres baux, la loi PINEL caractériserait une modification notable des obligations des parties et justifierait le déplafonnement.

 

Théorie sans intérêt pour le bailleur puisqu’in fine celui-ci ne parvient pas à déplafonner le bail, et donc forme un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel il dépose deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

 

C’est la deuxième tentative de saisine du conseil constitutionnel sur cette question. La première n’a pas passé le stade de la Cour de cassation faute pour le demandeur à la QPC d’avoir dénoncé sa procédure au ministère public[3].

 

La Cour va ne retenir qu’une seule des questions posées :

 

« b) Les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, en ce qu’elles sont applicables aux contrats de bail commercial renouvelés postérieurement à leur entrée en vigueur, mais qui avaient initialement été conclus sous le régime antérieur, portent-elles à l’économie des contrats légalement conclus une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, en méconnaissance des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et méconnaissent-elles le droit de propriété, tel qu’il est protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »

 

II – Le droit pertinent

 

La décision s’inscrit dans le cadre des nouveaux modes rédactionnels adoptés par la Cour de cassation qui, pour le coup, manque en clarté puisqu’à la différence du passé, la question soumise au Conseil constitutionnel n’est pas clairement posée.

 

Le dispositif de la décision est ainsi rédigé :

 

« RENVOIE au Conseil constitutionnel la question portant sur la constitutionnalité, au regard du droit de propriété, des dispositions relatives au dernier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 »

 

Le champ de saisine du Conseil constitutionnel est de prime abord moins vaste que la QPC suggérée par le bailleur. En effet le bailleur défendait la possibilité de ne pas être entravé dans le déplafonnement de son bail en vertu des principes de la liberté des conventions entre les parties, protégé par les articles 4 et 16 de la DDHC. Mais ce débat ne semble pas avoir été retenu par la Cour de cassation qui se cantonne à demander au Conseil constitutionnel d’examiner l’éventuelle contrariété du lissage avec le droit de propriété.

 

On comprend du mémoire déposé par le bailleur la revendication d’un droit de concéder la jouissance privative d’un bien lui appartenant à la valeur de marché et non à toute autre valeur jugée comme une restriction à l’exercice de son droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la DDHC.

 

La réponse à une telle question n’est pas simple puisqu’historiquement il existe des limitations d’origine légale et règlementaire au droit de propriété. D’ailleurs l’article 544 du Code civil, après avoir précisé en sa première partie la souveraineté du droit de propriété, en fixe lui-même la limite : « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements. »

 

En ce qui concerne le droit régalien, les lecteurs de chronos auront en tête toute la règlementation d’urbanisme parfaitement constitutionnelle qui n’autorise pas un propriétaire à construire n’importe quoi, n’importe quand, et surtout sans autorisation, un ouvrage sur un terrain lui appartenant. On parle ici de limitation d’intérêt public.

 

Mais il existe aussi des limitations d’intérêt privé tendant à organiser les rapports de voisinage mais aussi, de manière classique, les rapports bailleur/preneur. On relèvera pour exemple la loi du 1er septembre 1948 qui est vraisemblablement la loi la plus protectrice pour les preneurs à bail d’habitation. Même si le texte est aujourd’hui, dans son application, assez marginal, la loi du 1er juillet 1989 fixe un carcan contractuel très favorable au preneur avec notamment un droit au maintien dans les lieux en période hivernale alors que le bail est rompu ou l’indemnité d’occupation non payée.

 

L’énumération de ces exemples illustre le conflit entre plusieurs droits d’égal intérêt. Ainsi le droit au logement ou à la propriété commerciale ont-ils toute leur place à coté du droit de propriété.

 

C’est donc le dosage entre le droit à la propriété commerciale naturellement revendiqué par le preneur et celui de la propriété immobilière défendu par le bailleur qui sera débattu devant le Conseil constitutionnel.

 

Autrement dit, est-ce que le lissage du déplafonnement destiné à amortir l’impact économique sur l’activité du preneur et donc à protéger sa propriété commerciale, enjeu légitime dans un débat de société, ne porte pas trop atteinte à un autre droit aussi légitime qui est celui de la propriété du bailleur.

 

A certains égards la loi Pinel n’est pas celle qui a porté le plus atteinte au droit de propriété immobilière. Mais les lois qui ont pu altérer ce droit ont été promulguées à une époque ou la QPC n’existait pas ou n’était pas à ce point développée.

 

La décision à intervenir sera d’un point de vue théologique intéressante à analyser. Il faudra également l’analyser au niveau de sa portée qui pourrait très bien être limitée au seul cas de renouvellement de baux signés avant l’entrée en vigueur du dispositif PINEL. Dans cette hypothèse, le lissage d’un bail signé et renouvelé sous le dispositif PINEL resterait constitutionnel.

 

[1] Jean-Pierre DUMUR, Loi PINEL et « Plafonnement du déplafonnement » : Quadrature du cercle et casse-tête chinois ! – AJDI – juin 2014, p. 405

 

[2] CA PARIS, Pole 5 Ch 3, 3 avril 2019, n°17/21462, et notre commentaire du 24 juillet 2019 http://vivaldi-chronos.com/immobilier/baux-commerciaux-immobilier/charges-non-refacturables-du-bailleur-sur-le-preneur-au-titre-de-la-loi-pinel-et-fixation-du-loyer-du-bail-renouvele/

 

[3] 3ème civ, 3 novembre 2016, n°16-40.239, Publié au bulletin

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