Pratiques restrictives de concurrence et cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : CA Paris, Pôle 5 – Chambre 5, 5 septembre 2019, n° 17/01506

 

I – LES FAITS

 

I – 1.   

 

Une société allemande (A) active dans le secteur de la fabrication de sushis et une société française (F) spécialisée dans le commerce international de gros de produits de la mer ont signé en janvier 2010 un contrat.

 

Les parties ont alors convenu que la société A confierait à la société F la commercialisation exclusive de ses produits (et notamment des sushis fabriqués) en France, Tunisie, Algérie et Maroc.

 

La durée du contrat était fixée à un an renouvelable automatiquement.

 

I – 2.

 

En mars 2014, la société A informait la société F qu’elle ne pourrait plus l’approvisionner en sushis après avril 2014 en raison d’une part, d’une hausse du coût des matières premières et d’autre part, de l’importance des coûts relatif à la logistique et au conditionnement.

 

En novembre 2014, la société F invoquait par écrit les stipulations du contrat précité qui prévoyait (i) un préavis de douze mois en cas de résiliation par la société A et (ii) le paiement d’une indemnité de rupture équivalente à trois années de marge.

 

Sans réponse de la société A, en février 2015, la société F a assigné cette dernière devant le Tribunal de commerce de Créteil aux fins de réparation de son préjudice.

 

Après avoir été déboutée par le Tribunal de commerce de Paris en janvier 2017 (compétent en lieu et place des juges consulaires de Créteil dont il a été soulevé l’incompétence pour trancher un litige relevant de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, devenu L. 442-1, II du même code), la société F, qui n’a pas discuté cette exception de compétence, a interjeté appel devant la Cour d’appel de Paris.

 

II – LES DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES AU LITIGE

 

II – 1.

 

La société F, au visa des articles 1134 et 1156 du Code civil, demandait pour l’essentiel à la Cour de condamner la société A en réparation du préjudice subi du fait du non-respect du préavis contractuel et au paiement de l’indemnité de rupture prévue au contrat précité.

 

De son côté, la société intimée considérait que le litige est soumis uniquement aux dispositions de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce dès lors que la demande de la société F visait à obtenir la réparation d’un préjudice causé par une rupture brutale d’une relation commerciale établie.

 

Et de poursuivre son raisonnement en soutenant que les demandes contractuelles sont irrecevables et non fondées en application du principe de l’estoppel. En effet, selon elle, l’intimé ayant acquiescé à l’application de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce à double titre :

 

D’une part, en s’abstenant de contester la compétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige ; et

 

D’autre part, en visant dans son dispositif de ses écritures de première instance les dispositions de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce. Par conséquent, la société A estime que son adversaire ne peut valablement changer de fondement en cause d’appel et ainsi fonder son action sur les dispositions du Code civil engageant la responsabilité contractuelle de l’auteur du manquement à l’obligation de même nature.

 

Réponse de l’intimée sur la base de la critique du jugement de première instance : les juges consulaires ont tranché le litige sur le fondement de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce alors qu’elle se prévalait de la responsabilité contractuelle de sorte que, selon elle, le principe de non-cumul de responsabilités ne peut lui être opposé.

 

III – LA POSITION DE LA COUR D’APPEL DE PARIS SUR LE CUMUL DE RESPONSABILITES

 

La Cour d’appel de Paris rappelle dans un premier temps que relativement à la demande d’indemnité de rupture :

 

La société F fonde ses demandes d’indemnisation sur la responsabilité contractuelle de la société A ;

 

La société A prétend que la demande d’indemnisation au titre de la rupture ne peut être fondée que sur les dispositions de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce (rupture brutale de relation commerciale établie).

 

Les juges du second degré finissent par trancher sur le principe de non-cumul. En effet, il est rappelé qu’il y a lieu de relever que :

 

La demande de réparation fondée sur l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce, de nature délictuelle, tend à la réparation d’un préjudice résultant de la rupture brutale d’une relation commerciale établie ; tandis que

 

La demande de réparation en responsabilité contractuelle tend à la réparation d’un préjudice résultant d’un manquement contractuel. Et de conclure que :« Ces deux actions ont donc un objet distinct et il est loisible à la société [F] de choisir le fondement qu’elle estime adéquat pour voir prospérer sa demande d’indemnisation, voire même d’invoquer les deux fondements sans se voir opposer le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle dès lors que les demandes reposent sur des faits distincts ou tendent à la réparation de préjudices distincts »

L’arrêt a finalement censuré la décision des juges de première instance qui ont statué sur le fondement de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce alors qu’était invoquée la responsabilité contractuelle de la société A.

 

*****

 

En résumé, la victime d’une brutale rupture de relation commerciale établie peut choisir le fondement qu’elle estime adéquat pour voir prospérer sa demande de réparation de ses préjudices sur le fondement de l’article :

 

L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (devenu L. 442-1, II du même code) pour engager la responsabilité délictuelle de l’auteur de la brutale rupture ;

 

1134 du Code civil pour engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant.

 

En outre, le demandeur peut aussi fonder son action sur ces deux fondements sans se voir opposer le principe de non-cumul entre responsabilités contractuelle et délictuelle, sous réserve que ses demandes :

 

Reposent sur des faits distincts ; ou

 

Tendent à la réparation de préjudices distincts.

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