Prêts libellés en francs suisses : risque du taux de change et déséquilibre significatif du contrat de prêt

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

Source : Cass., 1ère civ., 22 mai 2019, pourvoi n° 17-23.663

 

I – LES FAITS

 

Par acte notarié du 25 novembre 2004, la caisse régionale de Crédit agricole Alsace Vosges (ci-après la « Banque ») a consenti à Monsieur et Madame X (ci-après l’« Emprunteur ») un prêt d’un montant correspondant à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 260 000 €.

 

Cet emprunt était remboursable en quatre-vingt échéances trimestrielles moyennant un taux d’intérêt annuel révisable fixé initialement à 1,67 %.

 

Toutefois, l’Emprunteur a invoqué le manquement de la Banque à son devoir de conseil, de mise en garde et d’information estimant ruineux le caractère du prêt et a donc assigné cette dernière en déchéance du droit aux intérêts et en remboursement des sommes indues versées.

 

II – LA POSITION DE LA COUR DE CASSATION

 

Après avoir été débouté par le Cour d’appel de Colmar par un arrêt du 3 mai 2017, l’Emprunteur forme un pourvoi qui est rejeté au motif que :

 

« Mais attendu que l’arrêt relève qu’il était expressément convenu dans le contrat que le risque de change serait supporté en totalité par l’emprunteur, conformément aux dispositions de la réglementation des changes, et qu’en conséquence, le prêt ne pourrait faire l’objet d’une couverture du risque de change par achat à terme par l’emprunteur que dans la mesure où la réglementation des changes l’autoriserait, et que l’emprunteur reconnaissait avoir été informé par le prêteur du risque particulier lié à ce type de prêt, notamment par la notice d’information sur le prêt en devises qui était annexée au contrat ;

 

qu’il retient que la disposition relative au risque de change avait pour seul objet d’attirer l’attention de l’emprunteur sur le fait qu’il devrait intégralement supporter le risque en cas d’évolution défavorable du taux de change, mais qu’elle ne crée en elle-même aucun déséquilibre significatif entre le prêteur et l’emprunteur, dès lors qu’elle ne met pas à la seule charge de celui-ci toute évolution du taux de change ;

 

(…)

 

qu’il ne résulte pas des éléments de droit et de fait débattus devant elle que l’emprunteur aurait formulé des prétentions ou des moyens relatifs à la clause portant intérêts conventionnels ou à celle stipulant les commissions de change

 

(…)

 

que, n’étant saisie d’aucune demande relative à la clause de paiement en monnaie étrangère, elle n’était pas tenue de relever, au besoin d’office, la nullité d’une telle clause »

 

Si la documentation contractuelle et notamment la notice d’information du contrat de prêt annexée au contrat permet de démontrer le respect du devoir d’information, de conseil et de mise en garde du banquier, la présence de clause abusive dans ce contrat n’est pas aussi évidente.

 

En particulier, si l’on s’intéresse à la devise du prêt qui était en l’espèce libellé en francs suisses, mais remboursable uniquement en francs suisses.

 

Or, l’article L. 1343-3 du Code de la consommation prévoit que :

 

« Le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros.

 

Toutefois, le paiement peut avoir lieu en une autre monnaie si l’obligation ainsi libellée procède d’une opération à caractère international ou d’un jugement étranger. Les parties peuvent convenir que le paiement aura lieu en devise s’il intervient entre professionnels, lorsque l’usage d’une monnaie étrangère est communément admis pour l’opération concernée ».

 

Par ailleurs, l’article L. 313-64 du Code de la consommation prévoit que :

 

« Les emprunteurs ne peuvent contracter de prêts libellés dans une devise autre que l’euro, remboursables en euros ou dans la devise concernée, que s’ils déclarent percevoir principalement leurs revenus ou détenir un patrimoine dans cette devise au moment de la signature du contrat de prêt, excepté si le risque de change n’est pas supporté par l’emprunteur.

 

 Au plus tard à l’émission de l’offre de prêt, le prêteur informe l’emprunteur des risques inhérents à un tel contrat de prêt et des possibilités éventuelles de conversion des remboursements en euros en cours de prêt leur sont précisées.

 

 Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent article ».

 

En l’espèce, l’Emprunteur percevait la totalité de ses revenus en euros…

 

Ainsi, sur le grief des clauses abusives, la Cour de cassation semble avoir suivi la jurisprudence européenne[1]. En effet, la clause prévoyant les modalités du remboursement d’un prêt touche clairement l’objet principal du contrat en ce qu’il s’agit de la mise à disposition des fonds et non la manière dont sont calculées et payées les mensualités de remboursement. Par conséquent, les règles relatives aux clauses abusives ne sauraient trouver à s’appliquer sauf à ce que les clauses en question ne soient pas rédigées de façon claire et compréhensible.

 

Malheureusement, tel était le cas en l’espèce…

 

[1] CJUE, 20 septembre 2017, aff. C-186/16

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