Charges non refacturables du bailleur sur le preneur au titre de la loi Pinel et fixation du loyer du bail renouvelé

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

Source : CA PARIS, Pole 5 Ch 3, 3 avril 2019, n°17/21462,

 

L’éventuel effet pervers de cette disposition avait été annoncé par les commentateurs de la réforme Pinel dès son entrée en vigueur[1] : Le réputé non écrit des clauses refacturant au preneur certains travaux, dépenses et autres charges ne pourrait-il pas constituer une modification notable des obligations des parties au sens de l’article R145-8 al 2 du Code de commerce aux termes duquel :

 

« Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l’une ou l’autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.» ?

 

La difficulté dénoncée provenait de l’introduction au Code de commerce de l’article R145-35, applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la date d’entrée en vigueur du décret, soit le 6 novembre 2014.

 

Cet article dispose que :

 

« Ne peuvent être imputés au locataire :

 

1° Les dépenses relatives aux grosses réparations mentionnées à l’article 606 du code civil ainsi que, le cas échéant, les honoraires liés à la réalisation de ces travaux ;

 

2° Les dépenses relatives aux travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dans lequel il se trouve, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations mentionnées à l’alinéa précédent ;

 

3° Les impôts, notamment la contribution économique territoriale, taxes et redevances dont le redevable légal est le bailleur ou le propriétaire du local ou de l’immeuble ; toutefois, peuvent être imputés au locataire la taxe foncière et les taxes additionnelles à la taxe foncière ainsi que les impôts, taxes et redevances liés à l’usage du local ou de l’immeuble ou à un service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ;

 

4° Les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ;

 

5° Dans un ensemble immobilier, les charges, impôts, taxes, redevances et le coût des travaux relatifs à des locaux vacants ou imputables à d’autres locataires.

 

L’article R145-35 relevant du décret d’application annoncé au dernier alinéa de l’article L145-40-2 du Code de commerce, expressément d’ordre public aux termes de l’article L145-15 du même Code, nul doute que les stipulations contraires insérées aux baux doivent être réputées non écrites.

 

Il en résulte que des clauses d’anciens baux disparaissent purement et simplement lors du renouvellement, ce qui sur le principe, peut modifier sensiblement l’équilibre contractuel qu’entendent justement corriger les articles L145-33, L145-34 et R145-8 al 2 du Code de commerce, par une exclusion de la fixation du loyer du bail renouvelé du dispositif de plafonnement légal… sans toutefois disparaître des conditions du bail à renouveler, de sorte que, contrairement au réputé non écrit de la clause d’indexation illicite[2], le non écrit peut ici être considéré.

 

Ce transfert de charges opéré par la loi peut-il en conséquence, à l’instar de l’évolution de la taxe foncière, justifier une cause de déplafonnement sur le terrain de l’article R145-8 al 2 du Code de commerce ? Cette disposition de la loi Pinel de protection du locataire pourrait-elle ainsi conduire, dans certaines zones où les prix du marché ont notablement évolués, à une augmentation substantielle du loyer du bail renouvelé ?

 

Les Juges des loyers parisiens et chambériens semblent avoir été les premiers[3] à être interrogés sur cet effet non prévu par le législateur :

 

– Pour le Juge des loyers Chambérien, dans un jugement du 19 décembre 2017[4], le loyer de renouvellement ne peut être fixé à la valeur locative sur ce fondement dès lors que « ces dispositions ne sont applicables qu’au nouveau bail et ne constituent donc pas une modification des obligations contractuelles respectives survenues durant le bail expiré » ;

 

– Les différents juges des loyers commerciaux parisiens qui se sont succédés ont en revanche eu des avis opposés :

 

    Le premier, dont la position sera ensuite partagée par le juge chambérien, considère, dans un jugement du 29 juin 2017[5],  que « la modification de l’une des clauses du bail à renouveler qui découle des dispositions d’un article inapplicable à ce bail ne peut être considérée comme “intervenue” au cours dudit bail et n’est donc pas susceptible de justifier le déplafonnement du loyer que sollicitent les bailleurs ». Autrement dit, à défaut de survenir au cours du bail précédent, l’anéantissement de la clause n’est d’aucun effet sur la fixation du loyer du bail renouvelé ;

 

    Le deuxième, dans un jugement du 17 octobre 2017[6] admet en revanche qu’une telle transformation « peut entrainer une modification  notable des obligations des parties entre le bail expiré soumis à la seule volonté contractuelle quant à la détermination des charges et impôts au sens large mis à la charge du locataire et le bail renouvelé qui limite les charges de ce dernier ». Pour le magistrat, aucune difficulté temporelle, sauf à relever que la modification des obligations des parties n’est pas notable au sens de l’article L145-34 pour justifier une dérogation au dispositif du plafonnement.

 

Cette dernière décision a été soumise à la censure de la Cour d’appel de Paris, laquelle va clairement prendre position sur la difficulté par un arrêt, objet du présent commentaire, particulièrement motivé en raison des moyens développés par le preneur à bail qui objectait, à l’instar du magistrat Chambérien, que la modification n’était pas intervenue au cours du bail expiré.

 

Pour la Cour d’appel de Paris,

 

« il convient de relever que l’article R145-8 du Code de commerce (ndlr : obligations des parties) ne précise pas sur ce point que la modification doit être intervenue au cours du bail expiré, alors même qu’il le précise en ce qui concerne la prise en compte des travaux d’amélioration. Par ailleurs, il est admis que s’agissant d’un déplafonnement en raison de la modification d’un élément de la valeur locative en application de l’article L145-34 du Code de commerce, la modification doit être intervenue au plus tard au moment de la prise d’effet du nouveau bail, car la valeur locative doit s’apprécier à la date du renouvellement. »

 

La Cour d’en conclure :

 

« les modifications apportées par la loi aux clauses du bail renouvelé, quant à la charge des travaux, sont de nature à entraîner un déplafonnement du montant du loyer du bail renouvelé »

 

En statuant ainsi, la Cour d’appel nous semble avoir commis deux erreurs de raisonnement :

 

I – Sur le principe, la Cour de cassation ne semble plus admettre les effets « ricochet » de la loi sur le bail

 

Il résulte effectivement de l’application combinée des articles L145-34 et R145-8 al 2 que les modifications apportées par la loi aux clauses du bail peuvent entrainer l’exclusion du plafonnement dans le cadre de la fixation du loyer du bail renouvelé.

 

En effet, comme le précisait déjà Mme Agnès Fossaert-Sabatier, conseiller référendaire à la Cour de cassation, au rapport annuel 1999 de la Cour,

 

« (…) la règle du plafonnement ne peut plus être interprétée uniquement comme une mesure de protection du preneur. Son champ d’application tend à se restreindre aux hypothèses où l’environnement du bail est à peu prés stable. Qu’il change, par l’effet des clauses contractuelles, de la loi ou de la réalité économique et c’est alors la valeur locative qui redevient la norme… ce qui, après tout, est inscrit dans l’article 23 du statut. »

 

Le défaut de stabilité ne permet pas un maintien du loyer « à l’identique », comme y conduisent les règles du plafonnement. On se rappellera ainsi que l’augmentation substantielle de la charge fiscale, et notamment de l’impôt foncier laissé par le bail à la charge du bailleur est classiquement considérée par la Cour de cassation comme un motif de déplafonnement :

 

« (…) Attendu que, pour refuser le déplafonnement et décider que le loyer du bail renouvelé ne pourra dépasser le chiffre résultant de la variation de l’indice du coût de la construction, l’arrêt retient que l’augmentation de la taxe foncière à laquelle le locataire est étranger ne peut s’assimiler à une modification notable des obligations du bailleur ;

 

Qu’en statuant ainsi, alors que l’évolution de l’impôt foncier à la charge du propriétaire, résultant de la loi et des règlements, est un élément à prendre en considération pour la fixation du prix du bail renouvelé, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »[7].

 

Cependant, la voie empruntée par la Cour régulatrice depuis quelques années tend à supprimer tout effet de la loi sur l’équilibre contractuel entre les parties au-delà de l’intérêt à protéger. Autrement dit, de supprimer tout effet « ricochet ».

 

On se souviendra à cet égard que ni la révision du loyer[8] ni le renouvellement du bail[9] ne peuvent organiser l’illicéité d’une clause d’indexation.

 

Il serait dès lors surprenant, et contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’un texte consacré à la protection du locataire puisse l’exposer, par ricochet, à une modification substantielle des conditions économiques de l’occupation. De la même manière, admettre un tel effet conduirait vraisemblablement à l’afflux d’un abondant contentieux qu’entend vraisemblablement endiguer la Cour de cassation[10].

 

Au-delà de ces considérations liminaires, c’est surtout sur un plan technique que la décision commentée semble critiquable.

 

II – Sur le plan technique, la modification notable doit avoir eu lieu avant la date d’effet du bail renouvelé

 

Il ressort d’une jurisprudence ancienne et constante, à laquelle la Cour semble se référer expressément[11], que la modification notable doit avoir eu lieu avant la prise d’effet du bail renouvelé[12], c’est-à-dire, pour les juridictions du fond, au cours du bail expiré[13], date d’effet, de fait, exclue.

 

Hormis probatoire, la détermination de la date de réalisation de l’évènement ne présente pas de difficulté particulière s’agissant notamment de l’exécution des travaux, l’évolution des facteurs locaux de commercialité, la modification de la clause de destination, etc. L’entreprise est beaucoup plus délicate lorsque l’évènement présente un aspect purement juridique, à l’instar, comme en l’espèce, du réputé non écrit de la clause de remboursement d’une dépense non-refacturable.

 

De notre point de vue, pour parvenir à la décision commentée, la Cour d’appel de Paris semble s’être enfermée dans une fiction juridique, dans laquelle la clause de refacturation existait encore au cours du bail à renouveler, mais aurait « disparu » un instant de raison avant la date d’effet du bail renouvelé, à un moment purement juridique où le bail initial a pris fin, et où le bail de renouvellement, évènement déclencheur butoire au-delà duquel la modification n’est plus prise en considération, n’a pas encore pris effet.

 

Plus clairement dit, la Cour d’appel de Paris semble considérer qu’alors qu’elle existait encore dans le bail initial, la clause de refacturation n’existait déjà plus lors de la prise d’effet du nouveau bail.

 

Cette fiction ne doit pas emporter approbation, tant elle s’écarte du fondement du réputé non écrit et des règles régissant le renouvellement du bail.

 

Rappelons à cet égard que si les clauses déclarées non écrites sont réputées n’avoir jamais existé, la Cour de cassation, estime  que tant que le caractère non écrit de la clause n’a pas été prononcé en justice, cette clause s’applique[14], position qui ne semble pas devoir se limiter à  la matière particulière de la copropriété, à lire une réponse ministérielle du 12 octobre 2010 :

 

« La clause réputée non écrite est considérée comme n’ayant pas d’existence et, de ce fait, aucune prescription ne court. Néanmoins, elle s’applique tant qu’aucune décision judiciaire ne l’a pas sanctionnée, sauf si les parties à l’accord décident de la supprimer. Réputer non écrites les clauses du bail, au motif que la prescription est trop courte, apparaît contraire au principe de la sécurité juridique des contrats, dont certaines clauses pourraient ainsi être remises en question plusieurs années après la conclusion des conventions. De surcroît, les baux commerciaux sont conclus entre professionnels des affaires qui peuvent s’assurer, avant signature, que la convention envisagée est conforme au statut. Plus généralement, cette proposition du congrès des notaires semble aller à l’encontre de la diminution de la durée des prescriptions consacrée par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. À l’heure actuelle, il n’est pas envisagé de généraliser la sanction du “réputé non écrit” en cas de violation des clauses d’ordre public des baux commerciaux »

 

Rappelons également que le bail se renouvelle aux clauses et conditions initiales, seul le loyer restant à fixer. Il s’ensuit que les conditions du bail de renouvellement sont celles du bail initial dont l’ordre public vient, au plutôt au cours de sa formation et au plus tard un instant de raison postérieurement à sa formation, annihiler le contenu, au terme d’une constatation rétroactive du tribunal, ou des parties. Une position inverse conduirait d’ailleurs à repousser l’effet rétroactif à une date antérieure à la date de création du contrat, ce qui ne peut logiquement être admis.

 

Le raisonnement de la Cour d’appel de Paris nous semble donc, à cet égard, inversé, dès lors que l’annihilation de la clause ne peut être intervenue avant la formation du « nouveau » contrat, mais après le début de sa formation, de sorte que la modification notable ne peut être réputée « intervenue » à la date d’effet du nouveau bail, et ne peut entrainer le déplafonnement.

 

S’agissant d’une étape de l’élaboration du contrat, et non d’une véritable évolution du contrat intervenant en cours de bail, cette modification notable ne pourra pas non plus, à notre sens, être invoquée au cours du renouvellement suivant.

 

Un arrêt de la Cour de cassation est donc particulièrement attendu sur ce point. Mais a priori, ce ne sera pas sur ce litige compte tenu du débouté du bailleur sur un motif dépendant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

 

[1] En ce sens, cf Alain CONFINO, Réflexion sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel, 29 juin 2015, AJDI 2015 p407

 

[2] 3ème civ, 21 novembre 1979, n°78-11.858, Bull civ III n°210

 

[3] Jean Pierre BLATTER, Quatre ans d’existence de la loi Pinel et son décret d’application dans le temps, 25 mai 2019, AJDI 2019 p340

 

[4] JLC CAMBERY, 19 décembre 2017, n°16/01165

 

[5] JLC PARIS, 29 juin 2017, n°16/15417

 

[6] JLC PARIS, 17 octobre 2017, n°17/00124

 

[7] 3ème civ, 2 octobre 2002, n°01-01-185, Publié au Bulletin. Dans le même sens : 3ème civ, 25 juin 2008, n°07-14682, publié au Bulletin ; 3ème civ, 13 juillet 1999, n°97-18623, Bulletin 1999 III N° 171 p. 118

 

[8] 3ème civ, 17 mai 2018, 17-15.146, Publié au bulletin et notre commentaire du 7 juin 2018 « La révision légale du loyer ne saurait organiser l’illicéité d’une clause d’indexation » http://vivaldi-chronos.com/immobilier/baux-commerciaux-immobilier/la-revision-legale-du-loyer-ne-saurait-organiser-l-illiceite-d-une-clause-d-indexation/

 

[9] 3ème civ, 13 septembre 2018, n°17-19525, FS-P+B+I et notre commentaire du 8 novembre 2018 « Le renouvellement du bail, pas plus que la révision légale du loyer, ne saurait entrainer l’anéantissement d’une clause d’indexation » http://vivaldi-chronos.com/immobilier/baux-commerciaux-immobilier/le-renouvellement-du-bail-pas-plus-que-la-revision-legale-du-loyer-ne-saurait-entrainer-l-aneantissement-d-une-clause-d-indexation/

 

[10] 3ème civ, 29 novembre 2018, n°17-23.058, FS – P+B+R+I, et notre commentaire du 7 décembre 2018 Illicéité de la clause d’indexation : vers la fin des contentieux d’aubaine ? http://vivaldi-chronos.com/immobilier/baux-commerciaux-immobilier/illiceite-de-la-clause-d-indexation-vers-la-fin-des-contentieux-d-aubaine/

 

[11] 3ème civ, 21 décembre 1976, 74-13.189, Publié au bulletin ; dans le même sens 3ème civ, 19 novembre 1975, 74-13.168, Publié au bulletin

 

[12] 3ème civ, 11 décembre 1996, 95-11.753, Publié au bulletin

 

[13] Cour d’appel d’Orléans, 4 avril 2019, 18/007151 ; Cour d’appel de Montpellier, 13 septembre 2016, 14/02424 ; Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre civile 1, 13 novembre 2008, 07/16221

 

[14] Cass. 3e civ., 21 juin 2006, n° 05-13.607, n° 757 FS – P + B : Bull. civ. III, n° 159 ; Cass. 3e civ., 28 avr. 2011, n° 10-14.298, n° 448 FS – P + B : Bull. civ. III, n° 61

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