Possibilité pour une collectivité territoriale ou un EPCI de candidater à un contrat de commande publique

Harald MIQUET
Harald MIQUET

Source : Conseil d’État, 14 juin 2019,  N° 411444

 

Peu de litiges ont la chance de cumuler l’office contentieux renouvelé du Conseil d’Etat. La décision commentée s’inscrit dans ce schéma procédural assez rare (1)et mérite de fait une attention soutenue sur les considérants de principe adoptés par la Haute juridiction administrative.(2)

 

1. Faits et procédure

 

Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le département de la Vendée a engagé, en 2006, une procédure d’appel d’offres en vue de la réalisation de travaux de dragage de l’estuaire du Lay, pour une durée d’un an avec possibilité de reconduction pendant trois années.

 

Par une décision du 16 juin 2006, la commission d’appel d’offres a attribué ce marché au département de la Charente-Maritime. La société Armor SNC, dont l’offre n’a pas été retenue, a demandé au tribunal administratif de Nantes, d’une part, d’annuler la décision du 16 juin 2006, ainsi que celle du président du conseil général de la Vendée de signer ce marché avec le département attributaire et, d’autre part, d’enjoindre au président du conseil général de la Vendée de saisir le juge compétent afin de constater la nullité du marché. Par un jugement du 9 avril 2010, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par un arrêt du 4 novembre 2011, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par la société Armor SNC contre ce jugement.

 

C’est en l’état que, la société Vinci construction maritime et fluvial, venant aux droits de l’Entreprise Morillon Corvol Courbot, venant elle-même aux droits de la société Armor SNC, s’est à nouveau pourvu devant le Conseil d’Etat qui juge cette fois au fond.

 

2. Focus sur la possibilité et modalités de participation pour une collectivité territoriale ou un EPCI de candidater a un contrat de commande publique

 

2.1  

 

Hormis celles qui leur sont confiées pour le compte de l’Etat, les compétences dont disposent les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération s’exercent en vue de satisfaire un intérêt public local. Si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est-à-dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de la mission.

 

2.2

 

La candidature d’une collectivité territoriale à l’attribution d’un contrat de commande publique peut être regardée comme répondant à un intérêt public local lorsqu’elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité a la charge, notamment parce que l’attribution du contrat permettrait d’amortir des équipements dont elle dispose. Cet amortissement ne doit toutefois pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins.

 

Il ressort des pièces du dossier que la drague acquise par le département de la Charente-Maritime, a été dimensionnée pour faire face aux besoins et spécificités des ports de ce département mais n’est utilisée qu’une partie de l’année pour répondre à ces besoins. Dès lors, son utilisation hors du territoire départemental peut être regardée comme s’inscrivant dans le prolongement du service public de création, d’aménagement et d’exploitation des ports maritimes de pêche dont le département a la charge en application des dispositions de l’article L. 601-1 du code des ports maritimes, sans compromettre l’exercice de cette mission, une telle utilisation de cette drague permettant d’amortir l’équipement et de valoriser les moyens dont dispose, dans ce cadre, le service public de dragage de la Charente-Maritime. Par suite, le moyen tiré de ce que la candidature du département de la Charente-Maritime n’aurait pas répondu à un intérêt public local doit être écarté.

 

2.3

 

Une fois admise dans son principe, cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence. En particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié. Ces règles s’appliquent enfin sans préjudice des coopérations que les personnes publiques peuvent organiser entre elles, dans le cadre de relations distinctes de celles d’opérateurs intervenant sur un marché concurrentiel. Lorsque le prix de l’offre d’une collectivité territoriale est nettement inférieur aux offres des autres candidats, il appartient au pouvoir adjudicateur de s’assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l’ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour fixer ce prix, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence.

 

2.4

 

Si l’offre de la collectivité est retenue et si le prix de l’offre est contesté dans le cadre d’un recours formé par un tiers, il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir adjudicateur ne s’est pas fondé, pour retenir l’offre de la collectivité, sur un prix manifestement sous-estimé au regard de l’ensemble des coûts exposés et au vu des documents communiqués par la collectivité candidate.

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