Une nouvelle possibilité juridictionnelle : l’expérimentation des demandes en appréciation de régularité

Manuel DELAMARRE
Manuel DELAMARRE

Par :

 

Manuel DELAMARRE

 Manuel DELAMARRE, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, associé, SCP DELAMARRE et JEHANNIN

 

  Nicolas GUERRERO, avocat à la Cour, SCP DELAMARRE et JEHANNIN

 

Source : Décret n° 2018-1082 du 4 décembre 2018 relatif à l’expérimentation des demandes en appréciation de régularité JORF n°0282 du 6 décembre 2018, texte n° 10

 

En vertu d’un décret du 4 décembre 2018 (JO du 6 décembre 2018), les tribunaux administratifs de Bordeaux, Montpellier, Montreuil et Nancy vont expérimenter la procédure de « demande en appréciation de régularité », parfois qualifiée de « rescrit juridictionnel », instituée par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi « Essoc ». Le décret précise le domaine et les modalités de ce dispositif expérimental.

 

Le décret d’application était attendu. L’article 54 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi « Essoc », avait instauré, à titre expérimental, pour une durée de trois ans, une procédure permettant au bénéficiaire ou à l’auteur de certaines décisions administratives non réglementaires de « saisir le tribunal administratif d’une demande tendant à apprécier la légalité externe de ces décisions », dont l’éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l’appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur.

 

Quelles sont les décisions administratives non réglementaires concernées ? Elles sont précisées par le décret, dont le législateur avait précisé qu’il devait tenir compte, notamment, de la « multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu » (art. 54, V, de la loi du 10 août 2018). Sept catégories de décisions sont visées : les arrêtés déclarant l’utilité publique d’un projet et leur prorogation (C. expr., art. L. 121-1 et L. 121-5), les arrêtés d’ouverture de l’enquête publique préalable à une déclaration d’utilité publique (C. expr., art. R. 112-1 à R. 112-3), les arrêtés d’ouverture d’une enquête parcellaire (C. expr., art. R. 131-4), les déclarations d’utilité publique en matière d’opérations de restauration immobilière (C. urb., art. L. 313-4-1), les arrêtés préfectoraux créant une zone d’aménagement concerté (ZAC) (C. urb., art. R. 311-1), les arrêtés déclarant insalubres des locaux et installations utilisés aux fins d’habitation (C. santé publique, art. L. 1331-25) et les arrêtés déclarant un immeuble insalubre à titre irrémédiable (C. santé publique, art. L. 1331-28).

 

La demande en appréciation de régularité ne peut être formée que dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Formellement, cette demande d’un nouveau type doit être présentée dans un mémoire distinct, limité à cette demande, et être accompagnée de la décision en cause.

 

Le décret prévoit un mécanisme de publicité afin de permettre aux tiers ayant intérêt à agir d’intervenir à la procédure. Ainsi, l’auteur de la décision faisant l’objet d’une demande en appréciation de régularité doit procéder à la publicité de cette demande dans un délai d’un mois à compter de son dépôt ou de la communication qui lui en est faite par le tribunal administratif. Cette publicité s’effectue dans les mêmes conditions que celles applicables à la décision en cause, sous peine d’inopposabilité aux tiers de la décision juridictionnelle en appréciation de régularité. Les tiers peuvent intervenir à la procédure par un mémoire également distinct et limité à l’appréciation de la légalité externe de la décision en cause, qui doit être présenté dans un délai de deux mois suivant la date à laquelle la publicité de la demande a été effectuée.

 

La demande suspend l’examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l’exclusion des référés.

 

Le tribunal peut procéder à un contrôle élargi de la légalité externe de la décision administrative. En effet, il se prononce sur l’ensemble des moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d’illégalité externe qu’il estime devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public.

 

Le tribunal administratif saisi statue dans les six mois suivant le dépôt de la demande. La décision du tribunal n’est pas susceptible d’appel mais peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

 

Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourra plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision postérieurement à l’expiration du délai pour former un pourvoi en cassation ou, le cas échéant, postérieurement à l’intervention de la décision du Conseil d’État.

 

La décision juridictionnelle doit être rendue publique par l’auteur de la décision administrative faisant l’objet de la demande, sous peine d’être inopposable aux tiers.

 

Enfin, six mois au plus tard antérieurement au terme de cette expérimentation, fixé au 6 décembre 2021, le Conseil d’État adressera au Gouvernement et au Parlement un rapport d’évaluation faisant état, le cas échéant, des difficultés rencontrées par les juridictions concernées pour appliquer les dispositions du code de justice administrative à cette nouvelle catégorie de recours, ainsi que des propositions qui pourraient être faites dans l’hypothèse d’une généralisation du dispositif.

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